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qu’elle parle en ces termes! Ce mot, s’il en était besoin, suffirait pour excuser la scène de Schiller aux yeux de l’histoire, et, si la rencontre des deux reines avait eu lieu, Marie Stuart, on peut l’affirmer, n’eût pas tenu d’autre langage que celui que le poète a mis dans sa bouche. Si dans l’imitation française l’héroïne de M. Lebrun s’écrie avec une paraphrase un peu bien pompeuse pour la circonstance :

Si le ciel était juste, indigne souveraine,
Vous seriez à mes pieds, car je suis votre reine!


la Marie Stuart de Schiller, elle, se pose moins au féminin, et dit carrément en cinq mois : « Moi, je suis votre roi! » Che tuo rè son io! — Admirable expression que le traducteur italien, M. Maffei, a respectée en vrai poète, et qui seule peut rendre, selon moi, l’intensité de ce sixième sens particulier à Marie Stuart, et que j’appellerais le sens royal. C’est dans cette puissante scène, qu’elle conduit avec une habileté, une ampleur magistrales, et dont elle rend d’un ton toujours sympathique les diverses alternatives, que Mme Ristori s’inspire pour la première fois de l’idée religieuse, qui va devenir pour elle au cinquième acte un si imposant moyen d’effet. Vis-à-vis d’Élisabeth, que tous ses amis la supplient de fléchir, vis-à-vis de cette rivale dont il s’agit d’implorer la clémence, que deviendra Marie Stuart? Interprétée au seul point de vue humain, comme nous le voyons faire tous les jours au Théâtre-Français, la situation est illogique et fausse; elle est impossible. Pour que l’indomptable superbe de la reine d’Ecosse consente à se plier, il importe qu’une force divine intervienne, et qu’à ses yeux l’humiliation puisse apparaître comme une gloire de plus. Marie saisit son rosaire, adore le crucifix, et le sacrifice, humainement impossible, se consomme aussitôt devant Dieu. Il faut voir Mme Ristori tenir le crucifix sur son cœur, comme pour y faire entrer en quelque sorte l’impression divine, il faut la voir se courber littéralement sous sa croix pour savoir à quel point nous avions ignoré jusqu’ici la grandeur de cette scène.

Au cinquième acte, cet accent religieux domine seul; il n’y a plus de reine ni de femme; il n’y a devant vous qu’une âme en train de s’épurer, et dont l’immolation est l’idéal du pathétique. Une fois pourtant il semble qu’elle va s’oublier : « Adieu, Robert, et, si c’est possible, vis heureux. Va te jeter aux pieds de la reine d’Angleterre, et que le prix que tu as obtenu ne devienne pas ton supplice!... » Quelle inflexion de voix impossible à décrire elle met dans ces paroles suprêmes adressées à Leicester ! Insensiblement une ironie mal déguisée s’y mêle, et le démon des anciens jours va se réveiller, lorsque tout à coup, rappelée à l’idée de son salut éternel, elle tombe à genoux et prie. Ce mouvement, d’une si triomphante expression de vérité, est bien d’une Italienne; on n’en trouve point de trace dans Schiller, qui ne se faisait point faute, comme on sait, de multiplier les indications de mise en scène, et c’est à Mme Ristori qu’on en doit reporter tout le mérite. Je cite un trait, j’en pourrais citer vingt, car la tragédienne ne compte pas avec l’inspiration; il suffit, pour s’en convaincre, d’aller la voir dans Mirra et dans Marie Stuart, deux créations si profondément étrangères l’une à l’autre, et dans lesquelles son rare talent a su se maintenir à la même