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sait comment se comportent les scènes italiennes exclusivement vouées à la littérature; tragédie, comédie, drame et vaudeville, on y joue tout comme sur nos théâtres de province, et ce n’est pas une mince besogne pour l’acteur ou l’actrice en renom que d’avoir à tenir tête aux exigences multipliées de ce répertoire à la fois national et cosmopolite qui s’étend d’Alfieri à M. Dumas, de Manzoni et de Nicolini à Schiller et à M. Scribe. Un pareil travail, quand on y réfléchit, offre en somme plus d’inconvéniens que d’avantages, car, s’il a pour bénéfice de maintenir constamment en éveil toutes les facultés, de tendre tous les ressorts, il use à la longue, amène le trouble et la confusion, et, les rôles nouveaux se succédant au jour le jour, on désapprend la recherche du mieux pour se contenter non pas du bien, mais de l’à-peu-près.

Je dois dire que Mme Ristori n’a rien heureusement de ces fâcheuses habitudes, du moins depuis qu’elle a joué Mirra. Peut-être qu’en cherchant bien, on en trouverait certaines traces dans ses premières représentations, alors que, se prodiguant elle-même, elle passait du tragique au bouffon avec une grâce aimable sans doute, mais un peu négligée en ses atours, et dont le succès l’a depuis corrigée. — De Mirra date le vrai triomphe. Jusque-là le public ne l’avait pas comprise, et de son côté elle persistait à se croire en Italie. Ce quelque chose qui lui manquait encore à nos yeux, son génie le lui révéla; aussi quels applaudissemens ! quelles universelles sympathies! Depuis, les liens n’ont fait que se resserrer davantage avec Marie Stuart et Pia de’ Tolomei : non que Mme Ristori ait fait des concessions; sans cesser d’être Italienne, elle est devenue une grande tragédienne française, et le public la salue comme telle. Étrange électricité du succès qui ne se rencontre qu’à Paris, traînée de poudre qui met le monde en feu, pourvu qu’on ait en soi l’étincelle mystérieuse ! On a parlé d’engouement et de cabale : pure défaite d’envieux! Hormis quelques hommes de goût, quelques rares lettrés ayant voyagé en Italie, gens très honorables sans doute, mais ne possédant pas sur le public la moindre influence, — qui connaissait Mme Ristori lors de son arrivée? Si j’en juge par l’aspect morne et désolé que présentait la salle Ventadour aux jours des premiers débuts, les amis qu’on lui donne n’étaient guère nombreux à cette époque. Une vie honnête et simple, l’ignorance absolue du terrain sur lequel on va combattre, no sont pas, je suppose, les manœuvres ordinaires dont usent les grands tacticiens, et j’en pourrais au besoin citer de mieux avisés. Aussi, lorsqu’après tant de luttes et d’épreuves décourageantes le succès finit par se prononcer, nulle autre qu’elle-même n’y avait contribué, et si les acclamations du public et des journaux devancent parfois le talent, on peut affirmer qu’elles n’ont fait ici qu’obéir à son impulsion souveraine.

Cette gloire n’est donc pas d’invention toute française, soit dit sans vouloir nier la part très réelle et très légitime qui doit en revenir à la France. Paris, si prestidigitateur qu’on le proclame en pareille matière, n’a jamais possédé l’art de tirer la vie du néant. Donnez-lui un talent, il en va faire en quelques jours une renommée; mais là s’arrête sa prétendue toute-puissance. — Aide-toi, Paris t’aidera! — S’il me fallait citer l’homme du siècle qui a le mieux compris la portée immense et pourtant limitée de cette force, je nommerais M. Meyerbeer. Il sait comme personne jusqu’où elle va et tout ce qu’avec Paris on peut faire d’un chef-d’œuvre; mais encore importe-t-il que