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donnez du grain aux oiseaux, mettez de l’eau dans les mangeoires, taillez les rosiers. Oh ! il y a de quoi se distraire à la Pioline. Je vous permets une petite heure de promenade autour de la maison. Descendez au jardin tout droit et revenez par le verger.

M. Cazalis descendit tranquillement au bois de l’Olivette et se choisit un grand creux dans le sable, derrière la colline, entre deux murailles, le meilleur, le plus chaud de ces abris que l’on appelle en Provence des cagnards, des cheminées du roi René. Jamais philosophe ne s’étendit au soleil avec plus de bonheur et d’insouciance. Le père Cazalis était tout ragaillardi. Il était là, dans son trou, couché tout au long, jambes en l’air, buvant le soleil, et se grillant avec délices en compagnie des lézards. Notre bon roi de Provence aurait trouvé le lieu digne de lui. La Zounet vint bientôt à passer par là. — Quelle tenue, dit-elle, pour un homme de votre condition ! Vous prenez vos aises comme un mendiant. Rien n’enrhume comme le soleil d’automne. Croyez-vous donc que je vais vous laisser tout le jour à ce clair de lune ? — Et bon gré, mal gré, elle le ramena à la maison. — Mais alors que faire, disait le lieutenant, que faire de toute cette sainte journée ?

— Oh ! soyez tranquille, dit la Zounet en dressant la table. J’ai de quoi vous occuper jusqu’à la nuit. D’abord tous les comptes de fermage, puis toute la correspondance en retard. Voilà des plumes et six grandes feuilles de papier.

— Six lettres ! mais c’est de la folie. Moi, six lettres ! Y songes-tu, la fille ? Voilà dix-sept ans que je n’ai mis la main à la plume. Tu sais fort bien que depuis que j’ai quitté la marine, ma sœur se charge de tout. J’ai tout oublié. Je sais signer mon nom, voilà tout. Je te jure que pour la belle écriture, je suis de la force de mon ami Tirart.

— Allons, taillez vos plumes, et commencez à travailler. C’est l’ordre formel de Mlle  Blandine : pas de réplique. Je vous laisse à votre travail. Je ferme toutes les portes pour que personne ne vienne vous déranger. À mon retour, il me faut mes six lettres, sinon pas de dîner.

Ce dîner fut des plus simples ; un convalescent s’en serait tout au plus contenté, et dans la soirée, pour aider à la digestion des herbages cuits à l’eau, la Zounet fit encore boire à son maître quelques basses de tisane verte, sans préjudice d’une potion très savante qu’elle lui servait d’heure en heure. Ainsi drogué et nourri, affaibli par la diète et les purges, il commençait à se croire sérieusement malade. Ce fut sans résistance qu’il se laissa mettre au lit à l’heure du coucher des poules. Pour s’endormir, il voulut prendre un livre. — Lire ! dit la Zounet en enlevant la lampe, oh ! quelles habitudes ! Allons, tenez-vous tranquille. À demain les sangsues.