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était toute changée ; il y avait partout des allées nouvelles, des terrassemens, des abatis d’arbres ; toutes les murailles de ce petit manoir gris et jaune étaient blanches comme neige. En arrivant à la passerelle, elle poussa un cri, lorsqu’elle se vit saluer par un petit bonhomme à veste rouge ; elle reconnut Benoni, qu’on avait costumé en groom anglais. Benoni était attaché à une caisse aussi grande que lui, et de ses longues baguettes il battait du tambour, la tête de côté. Puis elle vit Cascayot et deux drôles à mine éveillée qu’il traînait à sa suite, et tous ils avaient des uniformes, tous des tambours. Le sergent Tistet parut : sous les galons d’argent, Mlle  Blandine reconnut un uniforme de son frère. Tistet aligna ses élèves, leva la canne ; on battit un ban, puis une marche, et la tante, furieuse, fit une entrée triomphale, précédée de quatre tambours qui jouaient des baguettes comme des forcenés.

Tante Blandine avait passé toute une nuit en voiture à gémir, à se plaindre des cahots, des banquettes, de la poussière, de ses pieds gonflés, de ses reins cassés, de son insomnie, du grincement des roues, des discours des postillons, du silence de Sabine : tant de soucis et de fatigues pour des ingrats ! Bref, elle allait expirer.

A peine couchée, dès quatre heures du soir, à son arrivée, dans ce fameux lit de la Pioline, dont elle avait tant parlé pendant douze heures, où elle devait tant dormir, indéfiniment, sans qu’il fût permis à qui que ce soit de la réveiller, cette personne mourante de sommeil se mit à sauter comme une carpe, et toutes les minutes elle portait la main à la sonnette pour appeler Zounet. La servante, qui se tenait aux écoutes, l’oreille à la serrure, arrivait doucement et répondait à toutes les questions de la tante. On la renvoyait, on la l’appelait ; elles ne cessaient de parler.

Pendant qu’elles s’épanchaient ainsi en longues confidences, le lieutenant Cazalis, qu’on avait embrassé en courant, puis brusquement congédié, tournait autour de la Pioline, de la terrasse aux jardins, avec Tistet, Cascayot, Benoni, tous armés comme lui de roseaux et chassant les poules et les canards, repoussant les chiens et les passans, écartant tous les bruits de la Pioline, pour protéger le sommeil des voyageuses. Sur la route pierreuse, le fermier répandait une voiture de litière.

A trois heures du matin, la tante n’avait pas encore fermé l’œil. Zounet venait de se coucher, harassée, sans voix, la langue sèche. Tante Blandine, toute ragaillardie, se mit à réfléchir d’un esprit net et dégagé. D’emblée elle jugea la situation, prit son parti et s’endormit en paix. Le lendemain quelle fut la surprise du lieutenant, quelle fut la stupeur de la Zounet à la vue de la tante furetant dans toute la maison d’un air curieux, empressé, ne s’étonnant de. rien, ne se