d’admirer l’ordre parfait qui régnait en cette cuisine si encombrée, le linge si blanc, les tables luisantes, les étains fourbis.
Les acheteurs entraient et sortaient ; la Damiane trouvait du temps pour tout, pour ses hôtes comme pour ses cliens. Habituée aux cris de la Zounet, tante Blandine ne revenait pas du calme de cette maison si bien tenue, non par occasion, en vue des étrangers : c’était le train de tous les jours, elle le reconnaissait bien. Depuis qu’elle était entrée, elle subissait cette douce influence, elle ne voulait pas se l’avouer. Elle se défendait contre ses impressions, et par mille détours elle essayait de se donner le change.
Le temps s’était mis à l’orage. Tante Blandine voyait avec inquiétude ces lourds nuages noirs qui s’avançaient du côté du Ventoux ; elle salua la Sendrique avec ses plus grandes politesses et se leva pour partir. Damianet avait déjà dételé. Espérit, qu’elle envoya à l’écurie, fut si long à harnacher les mules, que l’orage éclata avant que la carriole fût attelée. La tante se rassit en murmurant : — Cet Espérit n’en fait jamais d’autres ; qu’avait-il besoin de dételer ?
On avait déjeuné très matin. — Moi, j’ai grand’faim, dit le lieutenant.
Les cousines, chassées par la pluie, revenaient du lavoir ; elles dressèrent agilement la table. On n’était pas en grande avance de provisions chez les Sendric ; les cousines coururent chercher des œufs chez les voisins, pendant que la Damiane servait les fruits, le laitage et les galettes. Elles allaient et venaient avec tant de bonne grâce, elles étaient si heureuses de servir le peu qu’elles avaient, que le lieutenant en était tout ravi, et de très bonne foi il déclara que de sa vie il n’avait fait un pareil repas. La tante ne voulut pas s’asseoir à table ; elle avait la passion des fruits, et ceux qui furent servis chez les Sendric étaient des plus beaux. On lui en offrit, elle refusa, elle ne voulut même pas toucher aux raisins-clairettes. Elle était très friande de fruits, mais elle ne mettait rien au-dessus de ces raisins-clairettes. À Lamanosc, toutes les années on tire une loterie de dévotion ; les billets sont ainsi conçus : « Je demande à Dieu la vertu de discrétion, et je lui offre les grenades. — Je demande à Dieu le don de silence, et je lui offre les figues. » — Et de même pour tous les fruits et toutes les vertus. Une fois le billet tiré, on s’abstient pendant toute la saison du fruit défendu. La tante Blandine était de cette confrérie, mais elle faisait une réserve expresse en faveur des raisins-clairettes, et quand la présidente lui présentait le sac aux pénitences, elle déclarait que s’il lui tombait un billet de clairettes, ce serait à recommencer. La Zounet, gâtée par ce mauvais exemple, se réservait les melons de toutes couleurs.
Au retour du plat, on présenta de nouveau les raisins à Mlle Blandine. — Je ne mange jamais entre mes repas, dit-elle.