Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même, elle se sentait enveloppée par un blâme secret, elle souffrait de son isolement. Dans ces tête-à-tête qu’elle avait à subir avec elle-même, elle se donnait encore de grands éloges pour la vertu qu’elle dépensait à lutter ainsi contre tous, afin de sauver Sabine d’un mariage qui blessait toutes les convenances ; elle n’osait pas encore se dire la vérité, mais déjà elle n’avait plus foi à la justice de sa cause. Au point où en étaient les choses, elle ne pouvait plus se faire une arme de ses répugnances aristocratiques. Cette noble et courageuse famille des Sendric lui inspirait un tel respect, qu’elle était blessée vivement lorsque la Zounet parlait d’eux sans retenue ; le fond de ses préventions était ruiné, et jamais elle n’avait paru plus ferme dans ses résistances. Elle se voyait engagée dans une situation fausse, impossible, où l’enfermait son amour-propre ; elle ne trouvait pas d’issue. Elle n’attendait qu’un mot, un seul ; si on lui avait dit qu’elle faisait une grande chose, une chose héroïque en consentant à ce mariage, qu’elle se dévouait, qu’elle se sacrifiait, elle se serait jetée par cette ouverture avec un entrain romanesque. — Mais je ne m’y oppose pas, à ce mariage ! disait-elle souvent ; je n’y consens pas ! Qu’importe ? Mon frère est le maître, je me soumettrai. — Lorsqu’elle était seule, aux heures de franchise elle rougissait de ces mensonges involontaires. Elle savait bien que Sabine se regardait comme liée, qu’elle ne ferait rien sans le consentement franc et libre de sa tante. D’autres fois la tante parlait de se retirer dans un couvent de trappistines, ou bien d’aller habiter à Valence chez sa parente, pour y mener la vie la plus mondaine. Et tous les jours ainsi nouveaux projets, nouvelles inquiétudes. L’hiver était venu, les neiges de la montagne obstruaient toutes les routes, et les visiteurs étaient rares à la Pioline ; la tante était dans une agitation extrême ; entre son frère et sa nièce, si calmes et si tristes, elle se sentait isolée, quelque affabilité qu’il y eût dans leurs relations. La Zounet ne lui était d’aucun secours. La tante se donnait sans cesse de nouveaux prétextes contre le mariage de Sabine, et des plus raffinés, des plus délicats, et tous ses argumens d’autrefois dont elle ne voulait plus, dont elle rougissait, elle les retrouvait dans la bouche de la servante, sous des formes vives et brutales ; elle éprouvait un grand malaise en entendant cet écho grossier qui lui renvoyait durement ses vieilles opinions.

Les choses semblaient devoir se traîner ainsi indéfiniment, les jours s’écoulaient, les semaines, les mois, et rien n’était changé. On était arrivé aux derniers jours de mars ; le temps s’adoucissait, et dans l’après-midi, au sortir de table, les Cazalis allaient se promener au soleil, sous les murailles. Un jour il arriva que la tante refusa de sortir sous prétexte de lettres à écrire, de comptes à régler. Elle était plus agitée que jamais, et cette promenade qu’on lui avait