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avec tous ses travers, comme il lui arrivait lorsqu’elle tournait du bon côté.

Le jour de la publication des bans, toutes les commères répétaient encore avant d’entrer à l’église : Oh ! jamais Mlle  Blandine n’y viendra, elle est trop fière ! La tante vint bravement s’asseoir à son banc. Quand on lut les noms, toutes ces têtes curieuses de filles se dressèrent, tous les yeux cherchaient Mlle  Blandine. Elle n’en eut aucun trouble. In mois plus tôt, elle aurait préféré se cacher à cent pieds sous terre.

Le souvenir du caporal Robin vint tout à coup jeter quelque diversion au milieu de ces grands événemens qui passionnaient l’opinion publique. À Lamanosc, il n’était bruit que des débuts du caporal au théâtre d’Avignon ; on le disait engagé pour des sommes fabuleuses. Le fait vrai, c’est que Robin avait très brillamment débuté, et qu’il allait partir pour le Caire. Le jour de la Saint-Antonin, parmi les curieux venus de la ville pour assister à la Mort de César, il y avait un petit bonhomme frileux, à perruque blonde, vêtu en plein été d’une polonaise à pèlerine de fourrure, et qui ne cessait de sautiller sur son banc pour mieux jouir du spectacle ; les filles de Lamanosc s’étaient gaussées de lui en le voyant ainsi se trémousser et lorgner par-dessus la tête de ses voisins avec sa grande lorgnette d’ivoire, qu’il appliquait sur ses lunettes d’or. Ce guilleret vieillard était un directeur de théâtre de passage à Avignon, et qui montait une troupe pour l’Égypte. Il fut très frappé du jeu de Robin. Quand tout fut apaisé à Lamanosc, il s’informa du caporal et le prit avec lui pour le dégrossir et le styler. En deux mois, Robin fut dressé, et il réussit au-delà de toutes les espérances dans la Tour de Nesle. Quelques sifflets s’étant fait entendre dans les loges, les portefaix avaient tout brisé, tout démoli, banquettes, barrières et cloisons ; c’était un succès magnifique !

— Ah ! monsieur Lagardelle, disait le sergent Tistet, est-ce bien vrai ? est-ce croyable ? Lui, Robin ! un si vilain soldat ! C’est très triste. Fort heureusement que moi, je commence à revenir sur l’eau. Devinez la nouvelle… Je me marie.

— Vous ?

— Oui, certes. Je donne ma main à Zounet. Le lieutenant l’a voulu. Il doit signer ma nomination un de ces matins. C’est une fille fort entendue en médecine.

— Elle a un beau port, dit le magister.

— Je l’habillerai en dame, dit Tistet.