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une double défaite pour les Russes. Il suffit d’un peu de prévoyance chez les hommes d’état de Pétersbourg pour pressentir les coups qui peuvent être frappés au printemps dans la Baltique par les puissances maritimes. Ce que nous voudrions rendre sensible par ces faits, c’est la bonne volonté qu’ont la France, et l’Angleterre de souscrire à une conciliation et l’intérêt qu’a la Russie à faire la paix. La puissante russe est obligée de se replier sans doute, mais en définitive elle plie devant la force des choses, devant l’ascendant infaillible des deux plus grandes nations du monde. S’il en est ainsi, serait-il donc si difficile de se retrouver encore sur ce terrain commun des conditions connues sous le nom des quatre garanties, qui ne subiraient peut-être que peu de modifications ? Quelle humiliation y aurait-il pour la souveraineté et les prérogatives du tsar à accepter la neutralisation complète de la Mer-Noire dans un moment où la flotte russe n’existe plus ? Ce qui est certain, c’est que tout est péril pour l’empire du Nord dans la continuation de la guerre, et que l’Angleterre et la France, après avoir détruit la prépondérance russe en Orient, seront conduites à la limiter également dans l’Occident, tandis que la paix est pour la Russie un moyen de réparer ses désastres. Il serait difficile de savoir encore ce qui sortira des conseils de l’empereur Alexandre. Si l’extrémité où elle est placée, ne suggérait pas une pensée de paix à la Russie, c’est qu’évidemment elle compterait encore trouver quelque point d’appui pour résister, et ici éclate cette nécessité d’une pression de l’opinion publique européenne dont parle le discours de l’empereur. Là est l’efficacité, de cette intervention puissante des peuples contraignant la Russie à la paix, en faisant le vide, autour d’elle, en la laissant convaincue et pénétrée de son isolement dans le monde. Tant que le cabinet de Saint-Pétersbourg n’aura point cette conviction désespérée, il est à craindre que les dispositions pacifiques qu’il peut laisser voir ne soient plus spécieuses que réelles.

Aussi est-il vrai de dire que la paix est dans la main de l’Allemagne plus que dans toute autre, parce que la Russie compte sur la neutralité ou l’immobilité de l’Allemagne. C’est là sa politique depuis l’origine. Toutes les fois qu’elle a vu les états allemands commencée à s’inquiéter et incliner vers les puissances occidentales, elle s’est hâtée de faire quelques concessions, un jour l’évacuation des principautés, un autre jour l’acception des quatre garanties : concessions simplement apparentes, qui cachaient une obstination invincible, mais qui avaient pour effet d’offrir un prétexte à beaucoup de dépêches et à une phase nouvelle d’inertie au-delà du Rhin. L’Allemagne, il faut le dire, a justifié toutes les prévisions de la Russie. Après avoir consenti à se déclarer dès le début contre les prétentions de l’empereur Nicolas, elle n’a pu concevoir la pensée d’appuyer d’une action quelconque des protestations solennelles en faveur du droit européen. L’Allemagne se laisserait-elle éclairer dans cette circonstance suprême ? sentira-t-elle le besoin de se prononcer ? Le cabinet de Berlin n’est point, dit-on, sans avoir eu une recrudescence de zèle pour la paix. Il aurait même ouvert, à ce qu’on pense, une de ces négociations qu’on désavoue quand elles ne réussissent pas, dont on se prévaut quand elles réussissent, et qui ne cachent en réalité aucune résolution sérieuse. La vraie politique de Berlin, elle se retrouve dans le discours que le roi Frédéric-Guillaume prononçait hier à