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sur un seul champ d’exploitation. Tous ces ouvriers sont à la tâche, et les habiles gagnent 1 florin 50 cent par jour, à peu près 3 fr. La journée de travail commence à deux heures du matin et dure jusqu’à cinq heures du soir.

Lorsque la tourbière basse est exploitée, que reste-t-il ? De l’eau. L’aspect de ces mornes lacs qui succèdent à de vertes prairies afflige le regard de l’agriculteur. Ce changement a même été dans les temps anciens funeste aux populations. On a vu les habitans de ces campagnes converties en lacs, pressés qu’ils étaient par la faim, émigrer vers d’autres terres. Ces lacs ne demeurent pourtant pas stériles. Quelques propriétaires les transforment en étangs peuplés d’excellens poissons qui fournissent de la nourriture à plusieurs familles, et qui créent une nouvelle source de produits. Avec l’art de la pisciculture et avec le volume d’eau dont elle dispose, la Hollande possède le moyen d’accroître sur une grande échelle le champ des richesses vivantes. Autrefois les lacs formés par l’extraction de la tourbe demeuraient dans cet état jusqu’au jour où un spéculateur hardi se mettait en tête de les dessécher. Les propriétaires des domaines inondés les cédaient à vil prix. L’acquisition faite, on entourait ces lacs de fortes digues pour les isoler des eaux affluentes, et à l’aide de moulins à vent on les épuisait quelquefois en une année. Le lit qui servait primitivement de base à la tourbe apparaissait alors : c’était tantôt de l’argile, tantôt du sable, souvent même une couche de roseaux spongieuse, légère, que les Hollandais appellent darri ou derry, et que l’on enlevait avec la drague. La tourbe étant extraite et les eaux pompées par le travail des moulins, on voyait assez souvent certaines landes stériles converties en terres d’une fertilité prodigieuse. L’ancienne surface enlevée avait en effet cédé la place à un fond argileux très riche et très propre à nourrir de florissantes moissons. Ces champs régénérés sortaient ainsi des profondeurs du sol, et des régions perdues pour l’agriculture après la fouille des tourbes se trouvaient restituées à la charrue. Une telle méthode ne laissa pourtant pas d’entraîner, à côté de ses avantages généraux, des malheurs particuliers. Plusieurs s’y ruinèrent. La vue de ces mécomptes fit même dire à un ancien économiste qu’eût-il les mains pleines d’or, il ne les ouvrirait point lorsqu’on lui proposerait des maisons à bâtir, des tourbières à fouiller ou des lacs à dessécher. Les Hollandais n’ont heureusement pas suivi ce conseil. Le même champ converti en tourbière, puis changé en une forêt d’arbres abattus[1], puis devenu un étang, puis rappelé à son état

  1. Les tourbières basses sont aussi riches que les tourbières hautes en bois parfaitement conservé ; seulement ce sont d’autres arbres.