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légères ou bleues, enfin 80 tourbes d’une qualité inférieure. Le nombre dépend de la manière dont on jette les morceaux ; mais malgré les soins les plus scrupuleux il y a généralement un tiers de la tonne qui n’est pas rempli. Les tourbes sont alors chargées dans des charrettes à bras d’une forme lourde et singulière. C’est un souvenir de la domination étrangère. La tradition veut que des charrettes de même forme, plus grandes et tirées par des chevaux, aient apporté en Hollande les munitions de guerre des Espagnols. Il est permis de réparer cet antique matériel, mais non de construire de nouveaux chariots sur le même modèle. La corporation des porteurs de tourbe constitue dans les villes une classe à part ; elle a un commissaire, des règlemens et des privilèges. Dans les cérémonies publiques et aux grandes fêtes nationales, les porteurs de tourbe forment entre eux des mascarades qui ne manquent pas de caractère. Il leur est défendu, sous peine d’une amende de trois florins, de fumer pendant qu’ils chargent ou déchargent les bateaux. L’extraction, le transport, la vente de la tourbe donnent naissance, on le voit, à un personnel nombreux et tout particulier. Quelquefois les plus lourds bateaux, dont le bord ne dépassait presque pas le niveau du canal, se trouvent vides en deux journées et surnagent. Une vieille femme prépare dans le cabinet le café et les alimens qui doivent réparer les fatigues de ces pauvres gens. Les bateliers sont vêtus de courtes blouses de toile, et par les temps de pluie, d’une étoile jaune, huileuse, imperméable, que les Anglais appellent oil skin. Quand les tourbes sont déchargées, on fait la toilette du bateau, car, pareils aux cavaliers qui ne prennent point de repos avant d’avoir soigné leur cheval, les bateliers ne se couchent point qu’ils n’aient lavé, à renfort de grands seaux d’eau, les flancs de leur colossale monture.

La qualité des tourbes varie singulièrement. Il y en a de plus ou moins riches en matières ligneuses, de poreuses et de compactes, de lourdes et de légères. Ces variétés répondent à différens usages industriels et domestiques. Les ménagères hollandaises reconnaissent tout de suite à la couleur et à la forme les propriétés de ce combustible. Il existe une espèce de tourbe qui convient pour la cuisine, une autre pour les foyers, une troisième pour les fabriques. En général, on préfère le produit des tourbières basses à celui des tourbières hautes. Les boulangers cuisent leur pain avec des glèbes peu denses qui prennent aisément feu. La tourbe sert à alimenter les fours à chaux, les brasseries, les distilleries, les fabriques d’huile, les tuileries. De Zwol à Arnem, nous avons compté soixante-dix briqueteries d’où sortent des briques par millions et qui sont chauffées aux dépens de cette terre consacrée à Vesta. La consommation de la tourbe destinée aux fabriques a grandement augmenté dans les