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des clubs de patineurs et de patineuses, comme il existe à Rotterdam et à Amsterdam des clubs de canotiers. Les jeunes Frisonnes ne recherchent point en patinant les fioritures, mais la vitesse. C’est encore là un trait du caractère national, qui vise plus à l’utilité qu’aux ornemens. Il est d’ailleurs curieux de voir glisser comme des apparitions sur la glace ces filles du Nord, belles, hardies et graves, qui passent dans un nuage, la tête couronnée d’un nimbe d’or et de dentelles. Attacher les patins aux pieds d’une de ces reines rustiques est un honneur fort brigué par les jeunes gens. Il est vrai que la jeune patineuse reconnaît ce léger service par un baiser. La vie d’hiver occupe une grande place dans l’histoire des mœurs frisonnes. On m’a montré un traîneau qui porte la date de 1793, et qui est un véritable objet d’art. La poupe surtout est revêtue de peintures délicates ; on y voit Moïse sauvé des eaux. Le dessous du traîneau représente le firmament étoile. Dans cette petite conque peinte en rouge, dorée, sculptée avec un goût chinois, une jeune femme assise se dirigeait elle-même à l’aide de deux bâtons ferrés, et volait sur les eaux glacées avec l’agilité d’un cygne qui traverse l’espace[1].

Les mœurs de la Frise s’étendent avec des nuances jusque dans la province de Groningue. On ne peut visiter la ville de Groningue un jour de marché sans être frappé de l’élégance et de l’éclat pittoresque du costume des paysans. Ce luxe traduit une richesse réelle, et cette richesse résulte de la constitution de la propriété dans la province de Groningue. Ici le paysan est détenteur du sol à perpétuité. Les améliorations qu’il introduit dans les terres affermées lui appartiennent. Ses enfans lui succèdent et héritent des fruits du travail de leur père. Une telle garantie a donné naissance dans la province de Groningue à un développement unique de l’agriculture et du bien-être. Sur cette base matérielle s’élève une éducation morale qui n’existe point ailleurs. J’ai trouvé à Wehe, dans un simple village, un muséum d’histoire naturelle et un jardin économique. Ces institutions sont fondées et payées par trois cents habitans de la campagne. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’écrire ici l’histoire intellectuelle de la province de Groningue : nous devons limiter nos recherches aux richesses qu’y a créées l’exploitation des tourbières. Deux anciennes colonies, le Hoogezand et le Sappemeer, peuvent nous donner une idée de la manière dont l’exploitation du combustible transforme un sol primitivement sauvage. Le Hoogezand était encore au XVIe siècle une contrée vague et inhabitée. Le nom seul du Sappemeer indique un ancien marécage. Là s’étendait un lac fameux et

  1. La ville où l’on retrouve le plus les vestiges de ce luxe domestique des Frisons est Hindeloopen. Là existent encore d’immenses richesses en porcelaine de Chine.