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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1256

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Quand on voit après deux siècles ce qu’ils ont fait, quand on est témoin des conséquences de leur victoire, et quand on calcule la somme des obstacles qu’ils ont dû surmonter, on éprouve pour ces ancêtres du sol un sentiment d’admiration réfléchie. Une population florissante, un mouvement continuel de voitures, de barques, de bâtimens, une richesse inconnue ailleurs d’édifices et de maisons de plaisance qui s’élèvent dans un lieu où il n’y avait que des eaux stagnantes et une bruyère désolée, tout cela forme un monument érigé à la gloire de la persévérance humaine.

La population de ces colonies était fort mêlée. À l’origine, des habitans de toutes les Provinces-Unies et même des pays étrangers affluèrent sur ce sol, auquel ils allaient donner une nouvelle existence. Plus tard, les réfugiés du Palatinat et de la Suisse cherchèrent dans ces lieux un asile que leur refusait la patrie. Les persécutions religieuses ne cessèrent d’alimenter ces colonies industrieuses et fortes. Des familles israélites s’établirent là, comme autrefois leurs pères dans le désert. Plus tard et à leur suite vinrent les Allemands de la communion luthérienne. Le temps effaça bien vite toutes ces différences d’origine, et de tant d’élémens étrangers, qui jetaient les racines d’un nouvel ordre social, les colons ne conservèrent qu’un fruit, la tolérance. Il est consolant de voir toutes ces sectes religieuses vivre dans la plus parfaite union. La population du Hoogezand et du Sappemeer se distingue encore par un esprit d’indépendance. Elle se montre plus libre de préjugés que les autres populations de la Néerlande ; elle résiste moins aux méthodes nouvelles. L’amour du travail, une disposition à tout entreprendre, une persistance que rien n’effraie ni ne décourage, ces qualités devaient conduire les habitans sur le terrain de l’industrie. Le transport de la tourbe donna naissance à une navigation importante, et celle-ci à la construction des navires. On employa d’abord pour ce service de petits bâtimens qui grandirent à mesure que la circulation s’étendait. Les colonies de la province de Groningue ont maintenant des chantiers où se construisent des navires estimés. Ces bâtimens mouillent dans les grands ports et les principales villes maritimes de l’Europe, notamment à Pétersbourg. Ils s’aventurent même dans les mers du Levant et commencent à visiter l’Amérique. On est vraiment surpris de voir toute cette prospérité navale s’élever au milieu d’une ancienne bruyère. Ce n’est point, tant s’en faut, la position géographique qui a contribué à développer au milieu des terres ce goût des constructions maritimes : la nature n’a rien fait pour cela ; mais l’esprit d’entreprise qui anime la population entière a suppléé au voisinage des flots. Si même on ne construit pas de plus gros bâtimens sur ces chantiers, situés dans l’intérieur du pays, ce n’est ni l’industrie