Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la bruyère recommence. Dans ces champs nus et abandonnés, on ne rencontre presque pas d’arbres. Des steppes de chênes nains qui ne dépassent guère la taille de nos plus humbles broussailles font cependant croire à l’existence d’anciennes forêts. Ce qui s’oppose maintenant à la croissance du bois sur ces terres, autrefois ombragées par de hautes futaies, c’est le mouton. L’animal innocent n’épargne rien. Les moutons, avec leur petite bouche empoisonnée, comme disent les paysans, détruisent les germes et la tige naissante des arbres que le vent a semés. Dans ces plaines attristées par l’absence de l’homme, où les perdrix, les lièvres, les coqs de bruyère, rappellent seuls le voyageur au sentiment de la vie, s’élèvent de distance en distance d’anciens tertres dont l’origine est attribuée par les uns aux Celles, par d’autres aux Germains. Ces monticules pelés ou recouverts d’une fauve végétation passent pour avoir été des tombeaux. La culture en a déjà détruit plusieurs. On a trouvé dans l’intérieur de ces tumuli des vases grossiers en terre et des ossemens calcinés, des haches de silex, des coins, des marteaux, des scies, des têtes de flèches, des anneaux qu’on croit avoir servi de monnaie, des pierres à broyer le grain, des amulettes. J’ai pu examiner ces différens objets dans les musées de la Frise, de l’Overyssel[1] et de la Drenthe. Ces instrumens de charpenterie en cailloux, embryons de nos outils actuels, ces armes, ces ustensiles de ménage, seuls vestiges de l’industrie d’un peuple qui ne nous a point laissé d’autre histoire, se rencontrent dans les contrées les plus éloignées et les plus diverses, jusque dans le Japon, et on en rapporte l’origine à une race d’hommes aujourd’hui perdue. Cette histoire du travail chez, un peuple oublié s’associe mélancoliquement dans la Drenthe aux tourbières, dont l’histoire naturelle était jusqu’ici non moins obscure.

Au milieu de ces champs uniformes qui se succèdent, l’homme trouve partout en soi et autour de soi l’infini, le mystère. Ce qu’il y a de plus ténébreux et de plus inexplicable encore sur ce sol énigmatique, ce sont les hunebedden. Il est difficile de voir sans émotion ces anciens monumens celtiques. Ces pierres ne sont point originaires de la Néerlande ; ce sont des blocs erratiques qui y ont été apportés par les glaces. Tout est prodigieux dans l’existence de ces débris cyclopéens, et l’événement qui les déposa sur le sol de la contrée, et la main qui les souleva. On se demande comment, en l’absence des leviers et des machines dont dispose aujourd’hui l’industrie, de tels blocs ont pu être réunis et placés les uns sur les autres. Les paysans de la Drenthe, témoins de ces monumens dont ils ignorent

  1. On conserve au musée de Zwol une hache en dyotite. Or cette substance minérale ne se retrouve nulle part dans les Pays-Bas ; il faut donc que cette hache ait été apportée de loin, sans doute de la Norvège.