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cette règle soit, comment dirai-je? une faute, le mot est trop faible, — un péché, le mot est trop fort. Les expressions elles-mêmes manquent pour formuler ces difficiles et subtiles questions. Dans son dernier et admirable livre, M. Kingsley reproche aux dissidens, par l’organe de sir Richard Grenville, de songer toujours et avant tout au salut, de leur âme, de s’inquiéter toujours du paradis ou de l’enfer dans toutes les questions de politique, de religion et de vie sociale, et le reproche n’est pas absolument immérité. C’est en suivant le principe adopté par le héros de mistress Gaskell, principe incontestable et qu’on ne viole pas impunément, que George Fox est arrivé à fonder cette étrange morale des quakers, qui est irréfutable, mais qui est évidemment fausse par quelque endroit, puisqu’il est impossible de concevoir une société entière fondée sur cette morale. Risquons donc le mot : il y a souvent de l’égoïsme à avoir trop soin de son âme, à écouter trop scrupuleusement sa conscience, car alors nous courons risque de ne pas avoir soin des âmes qui nous sont confiées. Quelle perplexité! Les romanciers me parlent des remords d’un coquin, mais véritablement toutes ses angoisses méritées ne seront jamais aussi dramatiques que les tourmens de l’honnête homme qui, comme M. Hale, doit concilier ses devoirs envers sa conscience avec ses devoirs envers les siens. Nous conseillons à nos romanciers d’abandonner un peu le monde du vice et du crime, où les émotions sont tout à la surface, et de faire quelques courtes excursions dans le monde moral : ils en reviendront éblouis et confus, après y avoir trouvé une mine dramatique inépuisable. Qu’ils n’aient pas peur de la monotonie, ce monde est extrêmement varié, car Satan lui-même n’en est pas exclu, et y fait maintes fois sa partie avec les anges. Cette parenthèse fermée, revenons à notre récit.

Les ressources de M. Hale n’étant pas suffisantes pour faire vivre sa famille dans l’aisance, il a pris le parti de se retirer dans le nord, à Northern Milton, ville de manufacturiers illettrés, dont quelques-uns ont cependant le désir d’occuper les loisirs de leur âge mûr à apprendre les choses dont les avait écartés leur jeunesse active et besoigneuse. Maintenant qu’ils n’ont plus à s’inquiéter du terme à payer et qu’ils ont fait leur chemin, ils apprendraient volontiers la langue d’Homère et celle de Virgile, s’ils avaient auprès d’eux un homme instruit qui pût ou voulût leur servir de précepteur. M. Hale, jugeant que ce moyen était un des plus acceptables pour occuper les nombreux loisirs et remplir le déficit que lui avaient faits ses scrupules de conscience, ira donc dans le nord. Grave décision ! comment mistress Hale, qui supporte déjà si difficilement le climat modéré du Hampshire et les légers brouillards des campagnes, supportera-t-elle le climat du nord et le fog épais d’une