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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/128

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Tu ne mentiras pas. Et d’ailleurs la grande question est d’obéir à la vérité, qui est toujours invisible, et non pas aux formes extérieures de la vérité, qui sont toujours imparfaites. Armée de ce principe, qui est celui des unitaires les plus éclairés (l’auteur de Mary Barton appartient, je crois, à cette église), mistress Gaskell n’a pas de préjugé de secte et regarde d’un œil bienveillant toutes les formes diverses qu’a revêtues l’idée chrétienne. Elle n’a pas le moindre préjugé, comme beaucoup de ses compatriotes, contre les nations et les personnes qui professent tel ou tel culte; elle sait que l’attachement à telle ou telle église dérive d’une foule de circonstances indépendantes de la sincérité d’âme, — l’éducation, l’habitude, les mœurs générales, les différences d’instincts, — mais qu’au fond ce ne sont là que des attachemens secondaires, très matériels, souvent mondains, nullement religieux, et que la grande question, c’est l’attachement à la vérité. Ainsi les personnages de son roman appartiennent tous à diverses sectes : M. Hale est dissident, sa femme et sa fille sont anglicanes; son fils Frédéric, après un long séjour en Espagne, penche vers l’église romaine, et pourtant tous sont sincères.

Les scrupules de M. Hale nous suggèrent une réflexion. Y a-t-il rien au monde de plus dramatique que les tourmens de conscience d’un honnête homme? Je suis toujours étonné que les romanciers et les dramaturges cherchent avant tout les émotions violentes du vice et du crime, comme si l’honnêteté ne leur fournissait aucune ressource. C’est même une opinion généralement répandue que l’honnêteté emporte nécessairement avec elle une certaine monotonie. Rien n’est plus faux, et c’est tout le contraire qui a lieu. Je ne connais rien de monotone comme le vice; son but est toujours le même, et ses moyens pourraient se réduire à cinq ou six tout au plus, qu’il serait très facile d’énumérer. Les mobiles qui font agir l’honnête homme sont excessivement variés, infinis comme le monde moral, complexes comme le monde matériel dans lequel nous vivons. C’est un grand et douloureux travail que d’accorder ensemble, dans la conduite de la vie, les différens principes qui doivent présider à nos actions, de ne pas en violer un pour donner satisfaction à l’autre. Avez-vous jamais réfléchi, par exemple, à l’horrible situation d’esprit d’un homme qui, pour ne pas violer les lois de la justice, est obligé d’être impitoyable ? Si vous pouviez lui enseigner une méthode pour concilier ensemble la justice et la charité, vous lui rendriez probablement un grand service. Pour prendre le cas qui nous occupe, celui de M. Hale, il n’est pas difficile de comprendre ses combats intérieurs. Il doit obéir à sa conscience, cela est une règle générale, et cependant il peut arriver tel cas où la stricte application de