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appui. Un pareil langage, soutenu d’une capacité de premier ordre, ne pouvait manquer de plaire, et on peut dire avec vérité que la veuve de Louis XIII avait déjà auprès d’elle un autre Richelieu dans les premiers jours de juin 1643, lorsque Mme de Chevreuse quitta Bruxelles.

Disciple et confident de Richelieu et de Louis XIII, Mazarin avait hérité de leur opinion et de leurs sentimens sur Mme de Chevreuse. Sans l’avoir jamais vue, il la connaissait, et il la redoutait profondément, ainsi que son ami Châteauneuf. Une favorite d’un tel esprit, d’un tel caractère, pleine de séduction et de courage, ayant dans sa main un homme ambitieux et capable, déclarée pour la paix, et en secret attachée au duc de Lorraine, à l’Autriche et à l’Espagne, était absolument incompatible avec la faveur à laquelle il aspirait et avec tous ses desseins diplomatiques et militaires. Il sentit qu’il n’y avait pas place, à la fois pour elle et pour lui dans le cœur d’Anne d’Autriche, et il s’apprêta à la combattre, mais à sa manière, doucement et par degrés, selon les occasions.

Mazarin avait un secret et puissant allié contre Mme de Chevreuse dans le goût toujours croissant de la reine pour le repos et la vie tranquille. Elle s’était autrefois un peu agitée parce qu’elle souffrait de plus d’une manière ; maintenant, parvenue au pouvoir suprême, heureuse et commençant à s’attacher, elle avait peur des troubles et des aventures, et elle craignait Mme de Chevreuse presque autant qu’elle l’aimait. L’habile cardinal s’appliqua à nourrir ces inquiétudes. Il s’appuya sur la princesse de Condé, alors très en faveur auprès de la reine par son propre mérite, par celui de son mari, M. le Prince, par les éclatans exploits de son fils, le duc d’Enghien, par les services de son gendre, le duc de Longueville, qui avait honorablement commandé les armées en Italie et en Allemagne, et par sa fille, Mme de Longueville, récemment mariée et déjà les délices des salons et de la cour. Mme la Princesse, Charlotte Marguerite de Montmorency, si célèbre autrefois par sa beauté, avait aussi, comme la reine Anne, aimé les hommages ; mais, quoique très belle encore, elle était devenue sérieuse et d’une piété assez vive. Elle n’aimait pas Mme de Chevreuse et elle détestait Châteauneuf, qui, en 1632, à Toulouse, avait présidé au jugement et à la condamnation de son frère Henri. Elle avait donc travaillé, de concert avec Mazarin, à détruire ou du moins à affaiblir Mme de Chevreuse auprès de la reine. On s’était armé de la dernière volonté de Louis XIII, et on était parvenu à faire presque un scrupule à la reine d’y manquer si vite. On lui avait fait entendre que les anciens jours ne pouvaient revenir, que les amusemens et les passions de la première jeunesse étaient « de mauvais accompagnemens[1] » d’un autre âge, qu’elle était avant tout mère et

  1. Ce sont les expressions mêmes de Mme de Motteville, t. Ier, p. 162.