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reine ; que Mme de Chevreuse, emportée et dissipée, ne lui convenait plus, qu’elle n’avait porté bonheur à personne, et qu’en la comblant de biens et d’honneurs elle acquitterait suffisamment envers elle la dette de la reconnaissance.

Pour faire honneur à son ancienne amie, la reine envoya La Rochefoucauld au-devant d’elle, mais en le chargeant de l’avertir des nouvelles dispositions où elle la trouverait. Avant son départ, La Rochefoucauld eut avec Anne d’Autriche un sérieux entretien où il fit tout pour la regagner à Mme de Chevreuse. « Je lui parlai, dit-il, avec plus de liberté peut-être que je ne devais. Je lui remis devant les yeux la fidélité de Mme de Chevreuse pour elle, ses longs services, et la dureté des malheurs qu’elle lui avait attirés. Je la suppliai de considérer de quelle légèreté on la croirait capable, et quelle interprétation on donnerait à cette légèreté, si elle préférait le cardinal Mazarin à Mme de Chevreuse. Cette conversation fut longue et agitée ; je vis bien que je l’aigrissais. » Cependant il alla au-devant de la duchesse sur la route de Bruxelles ; il la rencontra à Roye. Montaigu l’y avait devancé. La Rochefoucauld venait au nom de la reine, et Montaigu au nom de Mazarin. Ce n’était plus le brillant Montaigu, l’ami de Holland et de Buckingham, le chevalier passionné de Mme de Chevreuse ; l’âge aussi l’avait changé : il était devenu dévot, et à quelques années de là il entra dans l’église. Il restait encore attaché à l’objet de ses anciennes adorations, mais avant tout il était dévoué à la reine et par conséquent résigné à Mazarin. Il venait mettre le premier ministre aux pieds de Mme de Chevreuse et s’efforcer d’unir l’ancienne favorite et le favori nouveau. La Rochefoucauld, toujours appliqué à se donner le beau rôle et un air de grand politique, assure qu’il supplia Mme de Chevreuse de ne pas prétendre d’abord à gouverner la reine, de s’appliquer uniquement à reprendre dans son esprit et dans son cœur la place qu’on avait essayé de lui ôter, et de se mettre en état de protéger ou de détruire un jour le cardinal, selon les circonstances et selon la conduite qu’il tiendrait lui-même. Mme de Chevreuse avait voulu entendre aussi un autre de ses amis, moins illustre mais plus dévoué, cet Alexandre de Campion qu’elle avait connu à Bruxelles deux ans auparavant, et qui après la mort du comte de Soissons était passé au service des Vendôme avec son frère Henri, officier d’une bravoure éprouvée. Elle avait invité Alexandre de Campion à venir à sa rencontre à Péronne, et il paraît que celui-ci lui parla comme La Rochefoucauld, si on en juge par le billet qu’il lui écrivit à la fin de mai, avant de quitter Paris pour aller la joindre : « Je ne sais, lui dit-il, ce que M. de Montaigu aura négocié avec vous, mais je suis certain qu’il vous offrira de l’argent de la part de M. le cardinal Mazarin pour payer vos dettes, et qu’il a fait espérer qu’il noueroit une étroite amitié entre vous et lui. Je crois qu’il