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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1345

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désespérée contre Richelieu, et que, dans un cas extrême, on pouvait lancer aussi contre Mazarin. Les mémoires du temps, et particulièrement ceux de Retz et de La Rochefoucauld, les font assez connaître. C’étaient le comte de Montrésor, le comte de Fontrailles, le comte de Brion, le comte de Fiesque, le comte d’Aubijoux, le comte de Beaupuis, le comte de Saint-Ybar, Barrière, Varicarville, bien d’autres encore, esprits absurdes, cœurs intrépides, d’une fidélité sans bornes à leur cause et à leurs amis, professant les maximes les plus outrées et une sorte de culte pour le malheureux De Thou, invoquant sans cesse la vieille Rome et Brutus, mêlant à tout cela des intrigues galantes, et s’exaltant dans leurs chimères par le désir de plaire aux dames. C’étaient eux qui s’étaient fait donner le nom d’Importans par leurs grands airs d’importance, par leur affectation de capacité et de profondeur, et par leurs discours ténébreux. Leur chef favori était le duc de Beaufort, que nous connaissons, personnage à peu près de la même étoffe, composé à la fois d’extravagant et d’artificieux, mais d’une grande apparence de loyauté et de bravoure, et se donnant pour un homme d’exécution, d’ailleurs absolument gouverné par Mme Montbazon, la jeune belle-mère de Mme de Chevreuse. L’ancienne maîtresse de Chalais n’eut pas de peine à acquérir cette petite faction ; elle la caressa habilement, et, avec l’art d’une conspiratrice exercée, elle fomenta tout ce qu’il y avait en eux de faux honneur, de dévouement quintessencié et de courage extravagant. Mazarin, qui, comme Richelieu, avait une admirable police, averti des démarches de Mme de Chevreuse, comprit le danger qu’il allait courir. Il savait bien qu’elle ne se liait pas sans dessein avec des hommes comme ceux-là. Il était parfaitement instruit de tout ce qui se passait et se disait dans leurs conciliabules : « Ils ne parlent entre eux, dit-il dans les notes qu’il écrit pour la reine et pour lui-même, que de générosité et de dévouement ; ils répètent sans cesse qu’il faut savoir se perdre, et c’est Mme de Chevreuse qui les entretient et les unit dans ces maximes si funestes à l’état. » — « Saint-Ybar (un de ceux qui, avec Montrésor et Varicarville, avaient proposé à Monsieur et au comte de Soissons de les défaire de Richelieu) est vanté par Mme de Chevreuse comme un héros. » — « Campion, serviteur dévoué de la dame, est arrivé à Paris. » — « Mme de Chevreuse les anime tous. Elle dit que, si on ne prend pas la résolution de se défaire de moi, les affaires n’iront pas bien, que les grands seigneurs seront tout aussi asservis qu’auparavant, que mon pouvoir auprès de la reine s’accroîtra toujours, et qu’il faut se hâter avant que le duc d’Enghien ne revienne de l’armée. »

On ne pouvait être mieux informé, et le plan de Mme de Chevreuse et des chefs des Importans se dessinait clairement aux yeux de Mazarin :