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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1363

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VI

Mais combien les circonstances étaient changées autour d’elle, et qu’elle-même était changée ! Sa première sortie de France, en 1626, avait été un continuel triomphe : jeune, belle, partout adorée, elle n’avait quitté la ville de Nancy et le duc de Lorraine, à jamais soumis à l’empire de ses charmes, que pour revenir à Paris troubler le cœur de Richelieu. En 1637, sa fuite en Espagne lui avait été déjà une épreuve plus sévère ; il lui avait fallu traverser déguisée toute la France, braver plus d’un péril, endurer bien des souffrances, pour trouver au bout de tout cela cinq longues années d’agitations impuissantes. Du moins elle était encore soutenue par la jeunesse et par le sentiment de cette beauté irrésistible qui lui faisait en tout lieu des serviteurs, jusque sur les trônes. Elle avait foi aussi dans l’amitié de la reine, et elle comptait bien qu’un jour cette amitié lui paierait le prix de tous ses dévouemens. Maintenant l’âge commençait à se faire sentir ; sa beauté, penchant vers son déclin, ne lui promettait plus que de rares conquêtes. Elle comprenait qu’en perdant le cœur de la reine, elle avait perdu la plus grande partie de son prestige en France et en Europe. La fuite du duc de Vendôme, que celle du duc de Bouillon allait bientôt suivre, laissait les Importans sans aucun chef considérable. Elle avait reconnu que Mazarin était un ennemi tout aussi habile et tout aussi redoutable que Richelieu. La victoire semblait d’intelligence avec lui ; le propre frère de Bouillon, Turenne, sollicitait l’honneur de le servir, et le duc d’Enghien lui gagnait bataille sur bataille. Elle savait aussi que le cardinal avait entre les mains de quoi la faire condamner et la tenir enfermée toute sa vie. Quand tout l’abandonnait, cette femme extraordinaire ne s’abandonna point. Dès que l’exempt Riquetti lui eut signifié l’ordre dont il était porteur, elle prit son parti avec sa promptitude accoutumée, et accompagnée de sa fille Charlotte, qui était venue la joindre et ne voulut pas la quitter, elle gagna par des chemins de traverse les bocages de la Vendée et les solitudes de la Bretagne, et elle vint, à quelques lieues de Saint-Malo, demander un asile au marquis de Coetquen. Le noble et généreux Breton lui donna l’hospitalité qu’il devait à une femme et au malheur. Elle n’en abusa point, et après avoir déposé ses pierreries entre ses mains, comme autrefois entre celles de La Rochefoucaud, elle s’embarqua avec sa fille, au cœur de l’hiver, à Saint-Malo, sur un petit bâtiment qui devait la conduire à Darmouth, en Angleterre, d’où elle comptait passer à Dunkerque et en Flandre ; mais des navires de guerre du parti du parlement croisaient dans ces parages : ils