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est vrai qu’il y ait quelque chose de ce genre dans ce travail qu’on remarque ; il y a aussi à prévoir la reprise d’hostilités plus dangereuses peut-être et plus décisives, de même qu’il y aura encore à rendre irrévocables par des mesures concertées les résultats acquis jusqu’ici. Sur tous ces points, la France et l’Angleterre ont-elles été, sont-elles constamment d’accord ? Il est des esprits fort occupés à observer les nuages qui s’élèvent, et ce serait certainement trop dire que de nier qu’il puisse y avoir parfois des nuages. La France peut être plus particulièrement touchée de toutes les considérations de la paix, de la nécessité d’associer l’Autriche, si cela est possible, à l’œuvre commune, et par conséquent de ne point dépasser certaines limites. L’Angleterre peut être plus décidée à agir sur tous les points et sous toutes les formes, avec ou sans le concours du cabinet de Vienne. Qu’il y ait eu ou qu’il y ait de la part des gouvernemens des appréciations différentes de certaines questions déterminées, rien ne serait moins surprenant ; mais il est à nos yeux un fait supérieur à tous ces incidens, à ces divergences secondaires : c’est la nécessité de la permanence de cette union qui existe aujourd’hui entre la France et l’Angleterre. Ces deux nations ont été bien souvent divisées durant la dernière paix par de misérables querelles, par des rivalités quelquefois puériles. Le jour où une grande question s’est élevée dans le monde, la France et l’Angleterre, en dépit de tout ce qui semblait les diviser plus que jamais, se sont trouvées alliées sans effort et ont été les seules à prendre d’intelligence une résolution virile. C’était l’intérêt de leur grandeur et de leur prépondérance, dira-t-on ; il est vrai, c’était l’intérêt de la position qu’elles occupent dans le monde, mais c’était aussi l’intérêt de la sécurité et de l’indépendance de tous. La guerre s’arrêtât-elle aujourd’hui, pense-t-on que cette question d’Orient, à laquelle est peut-être attachée la civilisation occidentale, fût résolue par cela même que l’accord des deux pays, des deux politiques cesserait d’être nécessaire ? Croit-on que la France et l’Angleterre n’auraient point longtemps encore à agir en commun soit à Constantinople, soit dans les cours de l’Occident, pour assurer le développement des principes qu’elles auront fait passer dans le droit public ? Que cette alliance eût à subir quelque refroidissement sérieux, il ne pourrait y avoir de plus grand triomphe pour la politique moscovite. Qu’on le remarque bien du reste, ce n’est pas l’ambition de la Russie qui seule rend nécessaire cette forte et efficace alliance. Les deux nations peuvent avoir à défendre les mêmes principes dans l’Atlantique, dans le Nouveau-Monde. Elles auront à arrêter par leur imposante attitude cette remuante ambition américaine ou peut-être à la combattre quelque jour. L’alliance anglo-française a donc de toutes parts des raisons d’être. De toutes les combinaisons politiques, c’est celle qui est la plus protectrice pour l’Europe. Entre la France et l’Angleterre, il ne peut y avoir de traité de Tilsitt livrant à l’une le continent, à l’autre l’empire des mers. La divergence même des intérêts des deux pays, leurs rivalités, leurs tendances à se surveiller mutuellement, sont la plus sûre et la plus naturelle garantie de toutes les indépendances, en même temps que leur force est la plus invincible barrière contre tous les envahissemens. De quelque façon qu’on la considère, l’union des deux peuples ne peut avoir que de libérales conséquences ; elle s’est formée au nom