Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la liberté de l’Europe, pour défendre toutes les idées et tous les droits que résume ce mot de civilisation occidentale, et le triomphe de nos armes sera nécessairement le triomphe de ces idées et de ces droits. Par quelles phases l’alliance anglo-française aura-t-elle à passer ? Il serait certainement difficile de le prévoir. En attendant, elle ne se dissoudra pas si promptement. C’est le 31 janvier que doit se réunir le parlement britannique. D’ici là, tous les bruits de négociations se seront évanouis, ou auront pris une consistance plus ferme. Dans tous les cas, le chef du cabinet de Londres, lord Palmerston, aura sans doute à disputer vigoureusement son existence ministérielle.

Si l’on observait simplement à la surface, l’esprit public serait évidemment plus favorable à la guerre en Angleterre qu’en France. Au fond cependant la pensée n’est pas très différente, et si des propositions sérieuses étaient offertes, elles feraient taire bien vite tous les meetings belliqueux qui se succèdent depuis quelques jours au-delà de la Manche. Rien de semblable ne se produit en France. Le seul fait intérieur est la préoccupation de cette misère de l’hiver et de l’élévation du prix de toutes les choses nécessaires à la vie. Certes dans le monde contemporain l’extérieur est magnifique, et les théories ne manquent point pour rehausser les grandeurs de l’industrie. La réalité répond-elle toujours à l’apparence ? La réalité serait peut-être le triste revers de cette brillante médaille, et elle soulèverait plus d’un problème moral autant qu’économique.

Il se dégage souvent des faits contemporains une sorte de lumière qui sert merveilleusement à recomposer les faits d’autrefois ; de même que l’impartiale et intelligente étude des époques accomplies aide singulièrement aussi à pénétrer le sens des événemens les plus actuels. Le présent et le passé se mêlent et s’éclairent mutuellement, la politique et l’histoire se côtoient. Jamais cela ne fut plus vrai que dans notre temps, où rien ne tient et où tout recommence, où il semble que les choses tournent toujours dans un même cercle. Quand M. Thiers, après avoir écrit dans sa jeunesse l’Histoire de la Révolution française, mettait la main à l'Histoire du Consulat et de l’Empire, il croyait vivre sans doute dans une ère définitive, terme assuré de nos métamorphoses. Il y a de cela dix ans à peine, et, avant d’être parvenu au bout de son récit, l’historien a vu se renouveler sous ses yeux le spectacle des mêmes événemens, des mêmes causes produisant les mêmes effets. Ce vaste tableau, qu’il retrace sans faiblir, est déjà le contemporain de trois ou quatre régimes. M. Thiers n’en poursuit pas moins son œuvre. Dans le douzième volume qu’il publie, il arrive à l’année 1811, c’est-à-dire à ces tentatives, toujours grandes encore, mais déjà visiblement impossibles, et à la veille de devenir désastreuses pour la France elle-même comme pour le génie hautain qui dispose du monde. Certes, s’il y eut jamais une moralité dans l’histoire, c’est celle qui ressort de cet amas d’événemens mémorables, qui montre que le génie a ses limites, que nulle puissance humaine ne peut dicter des lois à la Providence, et contraindre la force des choses à plier devant elle. Voyez en effet cette époque que raconte M. Thiers avec une si merveilleuse clarté, arrêtez-vous à cette date de 1810 : Napoléon est au faite de la domination ; il tient garnison à Dantzig, il fait mettre le siège devant Cadix et envoie ses légions reconquérir Lisbonne, occupée une