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L’Europe entière, la France surtout, est intéressée au succès des propositions faites par le comité de la chambre des lords. L’Angleterre est le marché régulateur du prix des céréales, puisque le déficit de la production est chez elle permanent, et que par suite son commerce est toujours plus ou moins en quête de grains pour compléter l’approvisionnement intérieur. Informée à temps de l’état des récoltes anglaises, la France peut, si celles-ci sont évaluées au-dessous de la moyenne et si sa propre récolte est abondante, se préparer à une exportation considérable et exploiter les bénéfices que lui offre le débouché voisin. Si, au contraire, notre récolte parait devoir être insuffisante, nous sommes prévenus que nous rencontrerons nécessairement sur les marchés étrangers la concurrence des négocians anglais, et nous pourrons, en temps utile, suivant le degré constaté du déficit britannique, hâter plus ou moins nos demandes au dehors et nous attendre à des prix plus ou moins élevés. En un mot, la situation du marché anglais étant connue, le commerce français agira plus sûrement à l’intérieur comme au dehors, et le gouvernement pourra utilement faire usage des moyens que la législation lui donne pour favoriser ou entraver, selon les cas, l’exportation ou l’importation des céréales.

Mais à la connaissance exacte de la situation du marché anglais, la France devrait joindre, par des procédés analogues, l’étude de son propre marché. Bien que ses produits agricoles soient en général suffisans pour les besoins de la population, elle est parfois exposée au déficit, et. alors elle subit, comme la Grande-Bretagne, toutes les conséquences d’une crise alimentaire mal calculée ou se révélant trop tard. La statistique ne comblerait pas le déficit, mais elle le signalerait de manière à éveiller la prudence et à prévenir la panique. Il appartient à l’administration supérieure de décider si le plan proposé en Angleterre serait applicable en France, c’est-à-dire si l’on pourrait exécuter le recensement agricole de par la loi et à l’aide d’agens salariés. Nous n’y voyons pas d’empêchement absolu. Les cultivateurs anglais ne sont pas plus désireux que ne le soin les cultivateurs d’autres pays d’ouvrir leurs registres et de révéler le secret de leurs affaires. Lors de l’enquête de la chambre des lords, on a rendu compte des difficultés éprouvées sur certains points pour obtenir les informations nécessaires. Quelques propriétaires s’étaient montrés récalcitrans par tempérament ou par principe; d’autres, moins farouches, se figuraient que l’œil du fisc allait lire leurs déclarations, et ils se défiaient; quant aux fermiers, ils craignaient souvent fournir au landlord un prétexte pour élever le taux de la rente. Mais, en moins de deux ans, ces préventions et ces craintes se sont en partie dissipées, et chaque jour, sous l’influence de la presse et de nombreux meetings, la cause de la statistique agricole gagne du terrain. Pourquoi n’en serait-il pas de même en France? — Quant au choix des agens qui devraient être chargés du recensement, on ne saurait dire qu’il offrirait plus de difficultés en France qu’en Angleterre, où le personnel administratif est beaucoup moins fortement organisé. Si l’on augmentait le nombre des inspecteurs de l’agriculture et si on mettait à leur disposition certains agens qui, moyennant un faible salaire ajouté au traitement de leurs fonctions, déposeraient, et reprendraient les questionnaires auxquels chaque cultivateur serait légalement tenu de répondre, si enfin, à côté de cette organisation salariée, on