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maintenait le concours gratuit et dévoué des commissions cantonales, qui exerceraient sur l’esprit comme sur les déclarations des cultivateurs une influence et un contrôle très salutaires, ne serait-on pas en bonne voie pour atteindre le but? A l’objection tirée de la dépense, nous répondrions que dans un pays tel que le nôtre, cette dépense, fût-elle d’un million par an, est insignifiante en regard des avantages que la mesure doit procurer et des inconvéniens ou périls même qu’elle peut atténuer. Devant le comité de Londres, M. Leone Levi, dont nous avons cité le témoignage, déclarait que dans sa pensée une bonne statistique agricole de l’Angleterre vaudrait bien un déboursé annuel de 100,000 liv. st. (2,500,000 fr.). Quant aux obstacles pratiques, on ne saurait se les dissimuler : il faudra que plusieurs années s’écoulent avant que les cultivateurs se prêtent sincèrement à l’exécution du nouveau régime, avant que le personnel des agens salariés et même celui des commissions aient acquis l’expérience nécessaire. Les témoins entendus par le comité de la chambre des lords ont déclaré franchement que les premiers recensemens seraient fort incomplets. Néanmoins à la longue ces obstacles seront vaincus, et alors non-seulement on aura la statistique agricole annuelle, recueillie surtout au point de vue de la question alimentaire, mais encore on possédera les instrumens indispensables pour entreprendre efficacement, à des périodes plus éloignées, la statistique complète dont le congrès international a, dans ses deux sessions de 1853 et 1855, rédigé le programme. Entreprendre cette statistique avant d’avoir créé un personnel et longuement préparé le terrain, c’est, pour emprunter une locution inspirée par le sujet même, mettre la charrue avant les bœufs.

Le congrès aura d’ailleurs rendu un grand service en étudiant, dans ses deux sessions, l’importante question de la statistique agricole. Après lui, et à l’instigation des hommes distingués qui représentaient dans son sein les principaux états de l’Europe et du Nouveau-Monde, on verra les gouvernemens se mettre à l’œuvre. Grâce aux progrès de la navigation et au développement du génie commercial, armé de l’électricité et de la vapeur, les disettes qui, dans le cours des derniers siècles, ont décimé les populations ne sont plus à redouter, et le niveau de l’approvisionnement alimentaire doit peu à peu s’établir, à la condition que chaque pays sache évaluer en temps utile l’excédant de sa production ou le chiffre de son déficit. Cette évaluation, entourée, aujourd’hui encore de tant de difficultés, deviendra presque facile à mesure que les saines notions d’économie politique se propageront parmi les peuples, et que la statistique perfectionnera ses procédés. C’est en éclairant chaque pays sur ses forces productives et sur les ressources que lui offrent les régions voisines, c’est en procurant à l’homme d’état et à l’économiste des informations exactes sur les évolutions naturelles des faits comme sur les conséquences des lois appliquées à ces mêmes faits, que la statistique se relèvera au rang qui lui appartient, et qu’elle obtiendra une confiance, une popularité légitime. Il lui en coûtera peut-être d’abdiquer les prétentions scientifiques que certains esprits trop ambitieux voudraient encore lui inspirer; mais qu’elle se contente d’être l’auxiliaire indispensable de toutes les sciences, la lumière qui éclaire tous les problèmes : elle n’en sera pas moins digne de figurer utilement dans les délibérations d’un congrès international.


C. LAVOLLEE.