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C’est la première partie de l’œuvre que la France et l’Angleterre ont entreprise en commun, non dans une pensée de conquête, mais dans une pensée de préservation pour l’indépendance el la sécurité île l’Europe.

Rien n’est plus émouvant à coup sûr que cette décisive péripétie de la guerre qui vient de mettre Sébastopol dans les mains des armées alliées. On ne connaissait il y a quelques jours que le dénomment ; on connaît maintenant chaque détail, chaque épisode de ce formidable assaut livré à la lumière du jour sur tous les points d’une vaste enceinte inégalement investie. Nos travaux avaient pu s’approcher jusqu’à vingt-cinq mètres du front de Malakof et du redan du Carénage ; les cheminemens étaient à trente et quarante mètres du bastion du Mât et du bastion central. Les Anglais, arrêtés par les difficultés du sol et par l’artillerie ennemie, n’avaient pu arriver qu’à deux cents mètres du grand redan. C’est dans cette situation que l’attaque a été décidée sous l’influence, vive encore, de la victoire de la Tchernaïa. Un des caractères de ce grand fait de guerre, c’est un mélange singulier de calcul et d’entraînement. Tout avait été pesé et combiné par les généraux, en vue sans doute d’éviter les divergences qui avaient pu contribuer à l’insuccès de l’assaut du 18 juin. Les divisions d’attaque étaient massées dans les places d’armes les plus rapprochées, tandis que les réserves placées à portée se tenaient prêtes à combattre. Des sapeurs avaient été exercés à jeter des ponts mobiles. Des détachemens du génie étaient attachés aux colonnes d’attaque pour tourner immédiatement contre l’ennemi les pièces qui lui seraient enlevées. La marche de chaque colonne était tracée, et les généraux s’assuraient, en réglant leurs montres, que tout se ferait avec une sorte de précision instantanée. Trois divisions devaient altaquer Malakof, le redan du Carénage et la courtine qui relie ces deux ouvrages. Une autre division sur l’autre face du siège devait à son tour se jeter sur le bastion central, et les Anglais devaient assaillir le grand redan. Ces dernières attaques étaient subordonnées à la principale, à celle d’où dépendait le sort de la journée, et elles offraient surtout l’avantage de disséminer les forces russes au moment où nos soldats, entrés dans Malakof, chercheraient à tout prix à s’y maintenir.

Les choses ainsi réglées, à midi sonnant, le bombardement, qui avait redoublé d’intensité depuis le matin, s’arrêtait tout à coup ou plutôt changeait de direction, et la première division, conduite par le général de Mac-Mahon, s’élançait pour emporter le fort. Malakof. Ce n’était point une œuvre facile. Il y avait à franchir, sous un feu meurtrier, un premier fossé de six mètres de profondeur et un parapet de six mètres de relief au-dessus du sol ; au-delà, nouveau fossé et nouveau parapet. Nos soldats franchissaient tous ces obstacles avec une impétuosité irrésistible, sans même se servir d’échelles ; ils se jetaient dans l’ouvrage ennemi, et là s’engageait une lutte terrible corps à corps, à coups de pierre, à coups de crosse, à la baïonnette. Les Russes se faisaient tuer sur leurs pièces. En peu d’instans cependant le drapeau français flottait sur Malakof ; nos soldats restaient maîtres de l’ouvrage après en avoir chassé l’ennemi, et en ce moment le combat prenait une face nouvelle : d’assaillans, les Français devenaient assiégés dans les positions conquises, et ils avaient à subir l’assaut des Russes, qu’ils repoussaient avec une