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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/267

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influences est au premier rang. L’expérience semble indiquer en Angleterre que dans tout service public où n’existe aucune règle absolue d’avancement, et cette règle absolue est ordinairement l’ancienneté, l’intérêt politique tend à décider des nominations. C’est assurément dans l’armée que l’empire absolu des considérations de parti, de clientèle et de famille pourrait porter le plus sérieux dommage. On aura donc bien raison de ne pas renoncer à la promotion pour ancienneté, ni à la vénalité des grades, sans remplacer ces garanties vicieuses par d’autres garanties. En trouver de meilleures n’est pas un insoluble problème. Il y aurait beaucoup à prendre dans nos règlemens français. Seulement que les Anglais se persuadent bien que la faveur, les recommandations, les influences, la camaraderie, ne sont nullement des inconvéniens particuliers aux gouvernemens libres. Dans ceux-ci, on s’en aperçoit plus vite et on s’en plaint davantage, voilà toute la différence.

Quand les changemens qui viennent d’être indiqués seront accomplis, un rapprochement qui a été réclamé se fera comme de lui-même. Aujourd’hui il y a en quelque sorte deux armées sous le drapeau anglais, celle d’Europe et celle de l’Inde. Comme la seconde est à la solde de la compagnie, les grades en sont moins recherchés, et l’opinion, une certaine opinion du moins, trace entre les deux services une ligne de démarcation qui n’est pas en faveur du plus difficile et du plus instructif. Il n’est pas aussi aisé qu’il devrait l’être de repasser d’une armée dans l’autre et de faire compter en Occident les titres sérieux qu’on peut avoir acquis en Orient aux honneurs militaires. Cependant, ont dit avec raison certains orateurs, les guerres de l’Afghanistan sont les guerres d’Algérie de l’Angleterre, et Napoléon n’a pas été bien inspiré le jour où il a appelé Wellington un général de cipayes.

Dans toute cette partie de la discussion, on doit avouer que le gouvernement n’a point paru accepter assez franchement les idées nouvelles. Il est évidemment gêné soit par des préjugés puissans, soit par des difficultés secrètes, soit par des considérations d’économie, et on lui a vu cette indécision timide et disgracieuse des ministères de concession, non cet air de résolution, de hardiesse et de prévoyance qui sied aux ministères de réforme. Il faisait bien de répondre quand on exagérait le mal ; il hésitait trop à s’engager quand les demandes étaient raisonnables. Je sais que rien ne refroidit comme l’exagération de l’adversaire, et l’on devait être peu tenté de suivre M. Lowe, qui cependant est presque ministre aujourd’hui, quand il s’écriait : « Que l’Angleterre soit indépendante et que la chambre des communes périsse ! » Il n’est ni désirable ni probable que l’esprit militaire prenne dans la société anglaise les proportions