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donné raison. Tôt ou tard un système analogue pénétrera par les écoles jusque dans l’armée anglaise. En même temps les sous-officiers obtiendront quelquefois l’épaulette. L’apprentissage militaire sera plus sérieux et plus obligatoire ; l’avancement deviendra une récompense, et tout cela, non sans quelque proportion de faveur et de partialité politique. Aux réformes de ce genre, l’état militaire gagnera plus que le service civil ; mais il subsistera toujours assez d’abus pour occuper la critique : l’aristocratie ne sera ni affaiblie ni compromise, les réformes ne font la plupart du temps ni tout le bien ni tout le mal qu’on en attend. Dans une brochure très bien faite pour la défense du ministère Aberdeen (Whom shall we hang ? — Qui pendrons-nous ?), on a fort réduit les allégations de faits qui ont motivé tant de gémissemens et d’accusations. La crédulité et la malveillance doivent avoir beaucoup menti ; mais elles auraient dit vrai, voyez la marche des idées ! « L’armée anglaise a, dit-on, peu à peu disparu. On lui a distribué du café sans qu’il fût brûlé, et de la viande sans les moyens de la faire cuire. Les médicamens étaient insuffisans ou altérés. On est forcé de remplacer des vétérans par des recrues. Le prestige de l’Angleterre est brisé. L’orgueil de la nation ne le peut souffrir, et sacrifierait ses institutions mêmes à sa grandeur. Le temps presse ; on n’a qu’un moment pour sauver les institutions. À l’œuvre donc ! Et quelle œuvre ? Ayez un bon programme littéraire pour l’examen des candidats aux grades d’expéditionnaires, et nommez les expéditionnaires au concours. » — En vérité cette manière de raisonner n’est-elle pas un peu puérile, surtout quand on songe que les souffrances de l’armée anglaise sont passées, que depuis plusieurs mois le service est rétabli dans les parties où il avait manqué, que les correspondances de Crimée ne parlent que de la bonne tenue des troupes, et qu’enfin Sébastopol est pris ?

On objectera, surtout en France, que la gravité du débat est toute morale, qu’elle réside dans la nature des idées que la crise a suggérées et des sentimens auxquels on a fait appel. N’a-t-on pas de toutes parts accusé l’aristocratie, le patronage, l’existence des partis ? Or, si l’on démontrait que ces choses ne doivent plus subsister, on aurait aux yeux de bien des gens l’air de conclure à la suppression du gouvernement britannique. Effectivement, une fois engagés dans cette voie, la logique conduisant la marche, la rhétorique battant le tambour, quelques-uns ont fait mine de vouloir donner l’assaut aux antiques remparts de la constitution.

La presse a pour devise ces mots de Juvénal : Ut declamatio fias. Malheureusement la déclamation fait plus de bruit que de besogne. Cette fois même elle a fait moins de bruit qu’on ne croit en avoir entendu. L’aristocratie a été nommée, on s’est plaint de son influence ; mais l’a-t-on attaquée en elle-même ? Jamais à la tribune. « Je suis