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service; exigez toutes les garanties possibles, vous ferez bien. Mais s’il subsiste encore des abus, si les ministres donnent encore des places à la faveur (et ils en donneront, et le. patronage ne sera jamais irréprochable), dites-vous bien qu’on ne change pas les choses humaines dans leur essence, et consolez-vous en pensant que des ministres responsables sont après tout moins faciles aux abus que des ministres qui ne le sont pas. L’obligation de rendre compte de leurs actes et de répondre à l’opposition crée pour eux un réel intérêt de bien faire, comme le besoin du succès pour ces entreprises si vantées du commerce et de l’industrie. Plusieurs de celles-ci ont assurément beaucoup d’agens habiles; mais combien n’en ont pas! Combien ont échoué par la négligence, le désordre, l’imprévoyance, l’esprit d’aventure ! Avec la volonté de réussir et l’amour du travail, avec de l’opiniâtreté et du jugement, on fait beaucoup dans les affaires privées. Qu’est-ce que tout cela dans les affaires publiques, si l’on n’y joint une instruction étendue, une éducation générale, l’expérience du monde, la connaissance des hommes, l’art de se contenir, de ménager les caractères, de concilier les intérêts, de négocier avec les amours-propres, enfin la patience et la modération? On ne mène point une administration comme une usine, et un bureau comme un atelier. C’est une contradiction de citer pour exemple les compagnies du gaz ou de chemins de fer, et de faire subir aux employés un examen sur l’histoire et la littérature. Le ministre qui cherche autour de lui, dans ses attenances, dans son parti, des collaborateurs, tient compte des conditions du bien public au moins deux fois sur trois, ou s’il y manque, la presse et la tribune sont là pour l’en faire souvenir.

Mais l’efficacité de ce contrôle est elle-même attaquée. Un état libre est un gouvernement de parti, et l’esprit de parti, ce népotisme en grand, corrompt l’administration. Commencerait-on par hasard à se lasser de la liberté? Les temps seraient bien changés. De souvenir de contemporains, il y a eu une époque où la réforme la plus nécessaire paraissait suspecte, si, tout en servant au bien-être ou à l’utilité du public, elle donnait à l’autorité un droit avec un devoir de plus. Je citerai la police de Londres. On s’accorde pour en louer l’organisation. Or à la fin du dernier siècle la surveillance de la ville était confiée à chaque quartier, qui s’en acquittait à sa mode et aux frais des intéressés. Londres et surtout ses environs n’offraient aucune sûreté. C’était le temps où Chamfort disait : « La police est une si belle chose, que les Anglais aiment mieux les voleurs, et les Turcs aiment mieux la peste. » Et ce mot semblait pris au sérieux par de grandes autorités. Les premiers bills qui en 1792 essayèrent d’introduire un peu d’uniformité dans la police de la métropole et de la faire au moins surveiller par un magistrat soldé rencontrèrent une