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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/315

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pour la patience et l’industrie de ces pauvres gens une admiration mêlée de tendresse.

Si de Scheveningen nous suivons la mer, nous rencontrerons à Katwijk, à Noorwijk, à Egmond, à Zandvoort, la même côte, la même race, la même misère. Au moment où nous visitâmes le Katwijk des pêcheurs (car il y a deux villages du même nom, situés l’un à côté de l’autre), le typhus y régnait[1]. Depuis treize aimées, la pêche du poisson frais à Katwijk est en décadence. À la vue de cette situation déplorable, quelques économistes se sont demandé si l’usage des filets de corde n’avait point appauvri les mers. Cette question se lie à une autre qui relève de l’histoire naturelle. La fécondité a été donnée aux animaux, surtout aux poissons, pour résister aux entreprises de l’homme ; mais dans quelles limites cette fécondité résiste-t-elle ? En d’autres termes, est-il possible de dépeupler les eaux ? La science n’hésite point à se déclarer pour l’affirmative. Le champ de la vie sous-marine est une source de richesses inépuisables tant que les forces de reproduction font équilibre aux moyens de destruction mécanique ; mais du jour où cet équilibre se trouve rompu, il y a lieu de craindre que dans un espace de temps donné les mers les plus peuplées ne se convertissent en solitudes. Notre siècle a vu naître un art ingénieux qui se propose d’ensemencer et de repeupler les eaux au moyen d’une graine animale soumise à la volonté de l’homme. On se demande seulement s’il ne vaudrait pas mieux prévenir par de sages mesures l’anéantissement des poissons que d’en être réduit un jour à revivifier les mers par des moyens artificiels. Le danger d’un appauvrissement des mers est-il à craindre ? Pour en juger, il suffit de jeter les yeux sur les filets de corde, ces sépulcres flottans dont la Douche s’ouvre pour dévorer les habitans des eaux, dont le plomb laboure et soulève le fond de la mer. Non-seulement tous les poissons que le filet rencontre sont emportés, mais aussi tout le frai qui se trouve dans le sol est détruit. On a proposé en conséquence d’interdire pendant la saison d’hiver l’usage de cette pêche[2]. Le principe sur lequel se fonderait une telle défense est inattaquable : les richesses du règne icthyologique constituent le capital des mers ; ce capital appartient au genre humain tout entier. Les générations présentes ne doivent point détruire le fond, elles peuvent seulement en toucher les revenus. L’état, qui doit

  1. Sur la côte de Katwijk est une triple rangée d’écluses monumentales qui protègent l’embouchure artificielle du Rhin. Sur le pilier central qui sert de clé de voûte à la première écluse on lit cette inscription, en langue hollandaise : « Réunion du Rhin à la Mer du Nord commencée le 7 août 1804 et achevée le 21 octobre 1807. »
  2. Les mers ont besoin de se reposer au moins pendant quelques mois de l’année. Dans la discussion soulevée en Hollande sur cette matière, on a plus d’une fois invoqué comme une autorité l’opinion émise dans la Revue par M. de Quatrefages.