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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/33

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s’étant écoulées, le consul-général d’Angleterre amena son pavillon et s’embarqua avec tous ses nationaux, annonçant ainsi une guerre imminente.

Pendant que les Anglais poursuivaient avec cette dureté le paiement de leurs créances, le consul-général de France envoyait au pacha une protestation contre toute mesure qui tendrait à les satisfaire avant qu’il eût entièrement réglé ses comptes avec nous, car le reliquat des 140,000 francs n’était point entièrement soldé par les revenus de Bengazi, sur lesquels les autorités locales avaient fait des retenues frauduleuses. Dans les terribles conjonctures où il se trouvait, Yousef-Pacha prit une détermination qui le perdit : il frappa une contribution sur les Arabes de la Méchiah, qui avaient toujours été exempts d’impôts et qui n’étaient tenus qu’au service militaire. Aussitôt cette population exaspérée courut aux armes, prononça la déchéance de Yousef, et proclama pacha à sa place Sidi-Mohammed, son petit-fils[1]. Le vieux Yousef révoqua alors ses ordres malencontreux: mais il était trop tard. Les insurgés commencèrent la guerre et bloquèrent hermétiquement Tripoli. Le pacha, voyant qu’il n’avait pu conjurer l’orage, y fit d’abord tête avec fermeté. Il avait douze cents soldats sur la fidélité desquels il pouvait compter, plus la milice urbaine, qui avait un intérêt direct à défendre la ville, que les insurgés auraient indubitablement pillée, s’ils y étaient entrés; il espérait aussi que les Arabes du Sahel se déclareraient pour lui. Dans cette pensée, il envoya par mer deux de ses fils, Sidi-Ibrahim et Sidi-Moustapha, à Slitin et à Zoara pour faire prendre les armes aux Arabes; mais ces deux jeunes princes les virent au contraire se prononcer pour les insurgés, et ils eurent même quelque peine à regagner Tripoli. Yousef, cédant alors à la fortune et aux conseils des notables tripolitains, abdiqua solennellement en faveur de son fils Sidi-Ali, mesure extrême qui ne satisfit pas les rebelles, décidés à ne reconnaître d’autre pacha que Sidi-Mohammed.

La nouvelle de la révolte de la Méchiah et de l’abdication de Yousef-Pacha jeta le trouble dans toute la régence. Il y eut à Bengazi des désordres assez graves pour que le bey ou gouverneur de la Cyrénaïque crût devoir abandonner son poste et rentrer à Tripoli. Abd-el-Djelil, mettant les circonstances à profit et évitant de se prononcer pour l’un ou pour l’autre des deux pachas, se trouva de fait le personnage le plus important du moment. Les consuls européens, surtout celui de France, n’hésitèrent pas cependant, après l’abdication de Yousef Caramanli, à se mettre en communication avec

  1. Il était né du premier fils de Yousef, mort en Égypte, où il s’était réfugié après la révolte de Bengazi dont il a été parlé.