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Sicyone, de Sicyone à Athènes, ils comprendraient que si la pratique du métier est d’une importance immense, l’habileté de la main ne remplacera jamais l’exercice et le développement de la pensée. En comparant dans la peinture les écoles de Florence, de Rome, de Milan, de Parme, de Bologne, ils arriveraient à la même conclusion, et certes un tel enseignement ne serait pas stérile. Le présent ne peut s’agrandir qu’à la condition de profiter des leçons du passé, et pour les élèves de l’école de Paris le passé est à peu près comme non avenu. C’est à peine s’ils en entendent parler, et les procédés matériels de leur profession occupent toutes leurs journées. Ils savent exécuter habilement un torse ou un membre, ils modèlent avec adresse un casque ou une draperie : si vous leur demandez quelle pensée a présidé à leur composition, ils vous répondent qu’ils ont voulu faire un morceau. C’est là en effet le terme de leur ambition. L’enseignement de l’histoire spéciale dissiperait toutes leurs illusions : en assistant au spectacle du passé, ils sentiraient que l’exécution du morceau, très digne d’attention sans doute, ne doit pourtant pas absorber toutes les facultés du peintre ou du sculpteur.

Cependant l’histoire spéciale ne suffit pas pour éveiller le sentiment de l’idéal ; elle a besoin d’appeler à son secours l’histoire générale. Il faut en effet que les peintres et les statuaires, destinés à reproduire les grandes actions et l’image des grands hommes, possèdent au moins une idée sommaire des événemens accomplis. C’est à cette condition seulement qu’ils pourront travailler par eux-mêmes et sans auxiliaire. Quand le sujet qu’ils auront choisi ou accepté exigera des documens peu connus, ils sauront se guider dans leurs investigations et ne seront pas forcés de recourir aux lumières d’un homme étranger à leur profession. Et qu’on ne me dise pas que j’énumère ici des difficultés imaginaires. Tous ceux qui ont vécu dans le commerce familier des peintres et des statuaires se rappellent combien de fois ils les ont vus pris au dépourvu par des questions qui semblaient pourtant faciles à résoudre. Ils s’étonnaient d’abord de l’embarras dont ils étaient témoins ; mais après une conversation de quelques instans ils comprenaient que les pensionnaires de Rome, à qui l’état donne cependant cinq ans de loisir et d’indépendance, ne savaient quelle route suivre dans l’étude du passé, parce qu’ils ne possédaient pas les premières notions de l’histoire générale. Comment et pourquoi les pensionnaires de Rome ne prennent-ils pas la peine d’étudier par eux-mêmes ? Comment ne sentent-ils pas l’utilité des connaissances qui leur manquent ? La réponse C’est pas difficile à trouver. Ils ont devant eux l’exemple de leurs professeurs, chargés de travaux importans, enrichis par la pratique de leur métier, et qui, pour la plupart, sont demeurés au même