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point en ce qui touche l’histoire générale. Quel motif pourrait les décider à tenter une étude toute nouvelle, dont personne ne les a jamais entretenus ? Ils ont appris à exécuter le morceau, c’est par ce procédé que leurs maîtres ont réussi ; à quoi bon changer de voie ? Il y a d’ailleurs pour ce changement de méthode une difficulté dont on ne tient pas assez de compte. Les concours pour le prix de Rome se prolongent jusqu’à l’âge de trente ans ; les élèves lauréats demeurent cinq ans en Italie. Quand ils reviennent dans leur pays, ils croient avoir passé le temps des études : ils ne songent qu’à tirer profit de leur position de lauréats. Ils demandent, ils obtiennent des travaux ; ils deviennent chefs de famille, et leurs besoins, en se multipliant, leur inspirent pour les livres un dédain profond. Une heure donnée à la lecture leur paraît une heure dérobée à leurs devoirs, aux obligations les plus sacrées. Ils continuent d’ignorer l’histoire générale et ne comprennent pas le danger de leur ignorance. Qui donc oserait leur jeter la pierre et tourner leur insouciance en ridicule ? Pour leur refuser son indulgence, il faudrait méconnaître les nécessités de la vie. En dédaignant les livres, ils croient de bonne foi agir sagement.

C’est pourquoi il serait urgent d’abréger pour les prix de Rome la durée des épreuves. Si les pensionnaires revenaient à Paris à trente ans au lieu de revenir à trente-cinq ans, c’est-à-dire si le concours leur était fermé passé la vingt-cinquième année, ils auraient une chance de plus, une chance considérable pour comprendre la nécessité de l’éducation personnelle. Livrés à des besoins moins nombreux, moins onéreux, ils sentiraient peut-être l’opportunité des études générales en dehors de leur profession. S’ils n’avaient d’autres soucis qu’eux-mêmes, ils se résigneraient peut-être à interroger le passé. Assaillis de besoins sans cesse renaissans, ils sacrifient l’art au métier. Abréger la durée des épreuves pour les prix de Rome ne remédierait pourtant pas au dépérissement du sentiment de l’idéal. C’est à la jeunesse qu’il faut enseigner la supériorité du réel transformé par la méditation sur le réel transcrit littéralement. Sans les trois élémens que j’ai indiqués, il ne faut pas compter sur la régénération prochaine des arts du dessin. Nous possédons des artistes éminens ; mais ces artistes sont de brillantes exceptions, et ne détruisent pas l’autorité des principes que j’ai rappelés. À quelque partie de l’Europe que l’on s’adresse, on retrouve partout le caractère obligatoire de ces principes. L’Angleterre, la Belgique, la Hollande, l’Espagne, l’Italie, ne comprennent guère que le mérite de l’imitation ; elles ont à peu près perdu le sentiment de l’idéal. L’Allemagne s’en préoccupe, et c’est à la philosophie qu’elle doit sa prééminence dans cette question. Chez les peintres et les statuaires de notre pays, la philosophie ne serait pas la bienvenue. À l’heure