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l’admirable sextuor : Quest è fin nodo avviluppato, qui vaut à lui seul tout un long poème. Quelle musique ! s’écriait-on de toutes parts dans la salle, et qu’on est heureux de pouvoir encore l’entendre avant d’être complètement envahis par les barbares, qui sont à nos portes !

Le théâtre de l’Opéra-Comique, qui ne prodigue pas les nouveautés, vient de rompre le silence, qu’il garde depuis six mois, par un petit ouvrage en un acte, Deucalion et Pyrrha, qui remonte au déluge et qui ne brille pas précisément par la gaieté. La musique, qui est l’œuvre d’un compositeur connu. M. Montfort, dont on a laissé morfondre depuis dix ans le talent délicat, ne fait pas oublier les défauts de la fable. Nous y avons cependant remarqué un duo très bien conçu, et chanté avec esprit par M. Mocker et Mme Lemarcier, les deux seuls personnages de la pièce.

Après un repos de deux mois, le Théâtre-Lyrique a fait sa réouverture par la reprise de Marie, l’un des trois chefs-d’œuvre d’Hérold. Hélas ! pourquoi réveiller les morte, si c’est pour les martyriser et les exposer à la risée des générations nouvelles ! Le même soir où les élèves récemment couronnés par le Conservatoire estropiaient à l’envi les ravissantes inspirations du meilleur musicien de l’école française, on donnait aussi un petit ouvrage en un acte, Une Nuit à Séville, dont la musique facile est le premier essai d’un jeune compositeur, M. Frédéric Barbier. Ce sont là les adieux de M. Perrin au Théâtre-Lyrique, qu’il a dirigé pendant un an sans grand profit pour ses intérêts et au détriment de l’art, qui vit de concurrence et de liberté.

Il y a deux choses qui ne manqueront jamais à la France : ce sont des soldats pour la défendre et des chansons pour la divertir. Les uns y poussent aussi facilement que les autres, en pleine terre et sans culture. Le moindre rayon de soleil qui tombe sur cette longue voie triomphale de la gaieté parisienne qu’on appelle les boulevards y fait germer des théâtres de vaudeville, et, à moins que l’autorité ne promène de ce côté son râteau, on les voit croître et prospérer en peu de temps. Deux nouveaux théâtres de ce genre se sont élevés depuis un an, — les Folies-Nouvelles au boulevart du Temple, et les Bouffes-Parisiens dans un coin modeste des Champs-Élysées. Tous les deux font d’excellentes affaires. La musique, qu’on tolère, mais qu’on n’aime pas, est trop heureuse qu’on lui permette de monter en croupe d’un refrain égrillard et de servir d’accessoire aux lazzis d’un pierrot ou d’un arlequin aviné. C’est parce que nous avions entendu dire qu’on faisait parfois un peu de musique aux Bouffes-Parisiens, dirigés par M. Offenbach, que nous nous y sommes aventuré. « L’amour rend toute chose légère, » a dit l’auteur de l’imitation.

M. Jacques Offenbach, qui est le directeur et le compositeur ordinaire du théâtre des Bouffes-Parisiens, est un artiste d’esprit qui a bien compris l’époque et le pays où le ciel l’a fait naître. Il s’est dit un beau jour, en sautant dans la carrière un violoncelle à la main : — Que faire pour devenir célèbre ? Je n’ai pas le talent sévère et contenu de Franchomme, le charme et la morbidezza qui caractérisent M. Batta, et il faut abandonner l’espoir d’atteindre Servais, qui est dans son genre un virtuose de génie. Si je produisais sur le violoncelle les effets d’un tout autre instrument, de la petite