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même pensée les conteurs nouveau-venus et ceux qui ont déjà fait leurs preuves ; mais à quoi bon ce séminaire d’écrivains, s’il n’y a pas une règle sérieuse, une direction vigilante, un ensemble de doctrines nettement formulées ? Ne dites pas que cette unité de principes nuirait à la franchise de l’imagination ; l’auteur de Charlotte Ackermann, l’auteur du Sonnenwirth, l’auteur d’Afraja, malgré les qualités si différentes qui les distinguent, marchent évidemment au même but : ils savent très bien ce qu’ils veulent, ils ont un égal amour de la vérité et de l’art, et cette préoccupation commune, loin d’enchaîner leur essor, semble avoir doublé leurs forces. J’ai expliqué au contraire pourquoi j’exclurais du cénacle les œuvres de M. Gustave Kühne, de M. Ernest Willkomm, et surtout de M. Louis Bechstein. Vainement signalerait-on des idées élevées ou plutôt des désirs, des ébauches d’idées dans la Famille Ammer ; vainement dirait-on qu’il y a çà et là une intention philosophique sérieuse dans le symbolique roman des Francs-Maçons : les deux écrivains se sont laissé complètement égarer, M. Gustave Kühne par une subtilité obscure et une audace extravagante, M. Ernest Willkomm par un retour malencontreux aux modèles suspects qu’on avait reniés pour toujours. Je ne discute pas M. Bechstein, car la discussion ne saurait où se prendre, et j’ajoute simplement cette conclusion : de ces six premiers ouvrages, qui devaient réveiller dans l’esprit public l’amour de l’art sérieux, il en est trois seulement que l’art sérieux ne repousse pas.

M. Otto Müller me pardonnera d’insister : il a assumé sur lui une grave responsabilité en acceptant la direction d’une telle entreprise. L’idée de cette communauté d’écrivains associant leurs efforts, et surtout s’avertissant, se surveillant les uns les autres, a été accueillie comme un heureux présage ; si l’opinion publique était trompée dans son espoir, il ne faudrait pas compter sur son indulgence. Mieux vaut ne pas se hâter, mieux vaut paraître avec un petit nombre d’œuvres choisies que de s’exposer à de si flagrantes contradictions. La vie idéale est comme la vie réelle : au milieu du tumulte des idées, à travers la mêlée de tant de productions discordantes, il est des heures où l’on éprouve le besoin de s’isoler, d’admettre seulement auprès de soi quelques conseillers sévères, et de contempler silencieusement le ciel de l’art, de même qu’au milieu des distractions du monde et des bruits de la rue, la paix du foyer domestique est une retraite nécessaire. L’entreprise de M. Otto Müller semblait répondre à ce besoin ; c’était un isolement propice à la méditation, c’était une retraite fortifiante. Fallait-il après cela oublier de fermer les portes et permettre à l’ennemi de pénétrer dans la place ? L’intérêt même des nouveau-venus dont nous avons salué l’apparition justifie assez nos avertissemens. Charlotte Ackermann et