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allait enfin se déclarer très ouvertement pour le système continental. Ce fut au commencement de 1811. L’Angleterre faisait mine alors de vouloir rétablir le prétendant pour répondre à quelques confiscations prononcées récemment par les tribunaux suédois et à une proclamation fin prince royal ordonnant de ne pas laisser approcher le pavillon britannique de Carlscrona, de couler bas plutôt que de céder. A peine cependant le cabinet britannique avait-il eu le temps de s’inquiéter, qu’il était déjà rassuré. Des ventes simulées permettaient de remettre aux armateurs anglais les marchandises qu’on prétendait leur avoir confisquées, et le comte Rosen, gouverneur de Gothenbourg, dans des entrevues secrètes avec l’amiral anglais Saumarez, laissa entendre que le prince royal prévoyait dès ce moment que l’intérêt de la Suède exigerait tôt ou tard une alliance avec l’Angleterre; il insinua seulement que les circonstances présentes rendaient nécessaire d’être réservé et circonspect, afin de ne pas se compromettre avant le temps. L’amiral lui répondit, écrit Rosen lui-même dans un curieux rapport sur ces négociations, en félicitant le gouverneur de Gothenbourg de ce que la Suède, grâce à la prudence du prince royal, allait être le seul pays en Europe et dans le monde qui sût conserver secrètement sa bonne entente avec l’Angleterre sans s’exposer à la colère de Napoléon. Enfin le chef du cabinet de Londres, lord Wellesley, très confiant dans les résolutions futures du prince quand tous ses collègues craignaient encore en lui un instrument de la France, n’avait pas cessé de lui donner des preuves non équivoques de son amitié; il lui avait sans interruption communiqué les lettres que l’ex-roi Gustave IV écrivait d’Angleterre pour le continent. C’était un sûr moyen d’enchaîner Bernadotte aux intérêts britanniques.

La Russie ne faisait pas au prince royal de moins remarquables avances. Cette puissance, bien que Napoléon la comptât encore pour sa fidèle alliée et qu’il fit beaucoup de sacrifices pour conserver son amitié, n’observait plus le blocus continental. Vainement Napoléon faisait-il démentir en toute occasion le bruit de quelque mésintelligence entre Alexandre et lui : les mauvaises dispositions de la Russie étaient devenues trop visibles. Quoi qu’on puisse penser de la sincérité d’Alexandre à Tilsitt et Erfurt, il est sûr que, s’il avait été séduit par la gloire de Napoléon en 1808, deux années plus tard, il n’était plus sous le charme; l’amitié du grand homme était devenue pour lui un pesant fardeau; il osait énumérer les prétendues pertes qu’elle lui avait causées, quant au contraire elle lui avait valu tant de précieuses acquisitions. Dès le mois de juillet 1810, .M. Desaugiers avait pu écrire qu’à en croire beaucoup d’indices, la Russie se disposait à renoncer très prochainement au système continental et à se