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anglais, qu’il ne se serait pas offensé d’une décision contraire, et qu’il n’interviendrait en aucune façon dans l’interprétation de cet acte. « Sa majesté m’a d’ailleurs chargé, ajouta l’envoyé russe, de présenter à votre altesse royale l’expression de sa haute estime et de son désir de contracter avec elle des liaisons durables. Cette amitié personnelle se rattache intimement à l’intérêt que sa majesté porte à la Suède, à qui die souhaite le bonheur et le repos sous sa nouvelle dynastie. Sa majesté sait combien il est nécessaire, dans les circonstances actuelles, de se rapprocher des gouvernemens restés indépendans, et elle attache une importance particulière à l’alliance du gouvernement suédois. »

De telles paroles, adressées à un fondateur de dynastie par un voisin aussi puissant et aussi redoutable qu’était le tsar pour la Suède, étaient faites, il faut le reconnaître, pour flatter et séduire. Bernadotte, loin d’y résister, répondit avec ardeur aux ouvertures d’Alexandre « J’ai toujours souhaité, dit-il, l’amitié de l’empereur votre maître, et les assurances que vous m’apportez à ce sujet me sont précieuses. Son caractère, ses grandes qualités et sa puissance attirent à bon droit dans les graves circonstances où nous vivons les regards de l’Europe tout entière opprimée... Une lutte suprême est désormais inévitable. Napoléon, pour nous y envelopper, nous présentera comme appât la reprise de la Finlande, si désirée des Suédois... Le moment approche où sa prodigieuse puissance engloutira toutes les autres, ou bien sera renversée elle-même, et disparaîtra sous ses mines... Quand les orages s’accumulent autour de moi, je ne puis rester neutre, mais notre choix est encore libre; il dépend de l’empereur Alexandre de le fixer. » Czernitchef, bien préparé à suivre Bernadotte sur ce terrain, répliqua : « Je puis affirmer à votre altesse que sa majesté ne désire rien tant que votre amitié et l’alliance de la Suède. Je suis même chargé d’offrir à votre altesse royale toutes les garanties qu’elle pourra désirer en gage de la sincérité de ces paroles. — Eh bien! reprit Bernadotte, j’accepte ces assurances, et je me sentirai heureux, je me sentirai fier de l’amitié d’un si noble et si puissant prince. Il peut être convaincu que je préférerai l’indépendance, en m’unissant avec lui, à l’alliance de Napoléon, qu’il faudrait acheter par mille sacrifices, au prix de toute dignité, de toute liberté... Nous approchons d’une crise; elle est inévitable. La Suède peut être appelée à y prendre une part décisive. Que l’empereur votre maître s’explique sans réserve! S’il veut être véritablement mon ami, qu’il veuille bien m’en écrire ! S’il veut l’être de cœur et d’âme, les destinées de l’Europe sont entre nos mains! »

Rien ne pouvait mieux qu’une telle ardeur répondre à l’impatient désir que ressentait Alexandre de s’affranchir bientôt et du système