Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était libre de tout engagement (on se rappelle cependant le traité du 24 mars avec la Russie), et ne faisait aucun doute que la concession de la Norvège et de subsides suffisans n’attachât irrévocablement la Suède à l’empereur. On le fit donc repartir avec de nouvelles offres, cette fois magnifiques, sans réserve, et qui ne laissaient plus aucun prétexte raisonnable de refus. L’empereur non-seulement renouvelait ses premières propositions, mais promettait à la Suède des subsides considérables et des agrandissemens de territoire inespérés. Retirer lui-même la Norvège au Danemark, il n’y pouvait pas consentir : c’eût été se parjurer envers un allié que sa fidélité et sa faiblesse devaient mettre également à l’abri d’une pareille injustice; c’eût été avilir sa politique. Napoléon se tenait d’ailleurs pour assuré que la nation suédoise souhaitait bien plus vivement la reprise de la Finlande que la réunion de la Norvège; il chargeait Signeul de transmettre à Bernadotte sa pensée à ce sujet en y ajoutant la simple expression de l’étonnement avec lequel il voyait un prince français, un prince allié de sa maison, sembler prendre à tâche d’éloigner de lui une brave et généreuse nation... Toutefois les vues exprimées par le prince seraient prises en considération. Si la Suède voulait se déclarer ouvertement contre l’Angleterre et attaquer la Russie avec quarante mille hommes au moment où l’empereur franchirait le Niémen, la Poméranie et la Finlande lui seraient rendues, — la Finlande avec ses anciennes limites, c’est-à-dire jusqu’aux portes de Saint-Pétersbourg; Napoléon offrait de plus le Mecklenbourg, Stettin et le territoire entre Stettin et Wolgast, c’est-à-dire tout un pays contigu au Danemark et pouvant lui être donné en dédommagement de la Norvège, si un arrangement à l’amiable survenait entre les deux pays. Il s’engageait encore à payer immédiatement à la Suède 6 millions de francs à titre de premiers subsides et 1 million par mois pendant la guerre, puis, pour indemniser Bernadotte des pertes qu’il avait faites personnellement en France, il lui rendrait en assignations sur le trésor la valeur de ses anciennes dotations. Tous ces avantages pouvaient représenter une somme de 30 millions, quand tout à l’heure Bernadotte n’en demandait que 20. Napoléon n’avait d’ailleurs pour ainsi dire pas limité, si ce n’est pour la Norvège, ses concessions : « Qu’on mette la carte sous les yeux du roi de Suède, avait-il dit, qu’il trace lui-même la frontière de ses états du côté de la Russie... Et qu’on lui dise bien que l’occasion qui s’offre aujourd’hui de rétablir la Suède avec son ancienne splendeur sur les ruines de son ennemie naturelle ne se représentera plus jamais! » Graves paroles, qui marquent en effet une des conjonctures les plus solennelles des temps modernes, une de celles qui ont décidé des destinées présentes de l’Europe! Mais une telle situation demandait, pour livrer tout ce qu’elle contenait d’ans son sein de glorieux germes pour l’avenir,