Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’accord et le concours de deux à mes également élevées, l’une aussi clairvoyante que l’autre au seuil d’un siècle nouveau, l’une aussi forte que l’autre à reconnaître une erreur et à vouloir la réparer, l’une aussi supérieure que l’autre aux petites passions et aux ressentimens.

Bernadotte refusa de croire aux offres de Napoléon. « M’aime-t-il plus que ses frères? répondit-il avec amertume à Signeul, qui lui apportait ces propositions. Il a détrôné Louis, parce qu’il ne voulait pas être son docile préfet. Demandez à Joseph et à Jérôme ce qu’est leur royauté. Mes pressentimens aussi bien que mes calculs me disent que Napoléon approche de sa chute, parce que son système a soulevé enfin les peuples et les rois. La crainte les retient encore, mais ils n’aspirent plus désormais qu’à la délivrance. » Et pour réponse définitive, il dicta cette fois l’incroyable note que voici :


« La cession de la Norvège en vertu d’un traité formel, voilà le seul témoignage qui puisse me convaincre que l’amitié qui m’est offerte par sa majesté impériale est sincère. Au même moment où la Suède obtiendra cette récompense pour son dévouement, on embrassera franchement ici la cause de l’empereur, et je deviendrai réellement son lieutenant dans le Nord. Les subsides qu’il me fournira pour exécuter ses plans lui seront restitués à la paix. Je ferai prendre à la nation suédoise à cet égard un engagement précis et solennel. Si l’empereur rejette ma proposition et refuse de reconnaître le système de neutralité que la Suède a choisi, la Norvège se donnera volontairement à nous. Toutes les mesures sont prises, elles ne sauraient échouer. Je déclarerai la Norvège indépendante; elle me donnera vingt mille soldats qui, avec mes Suédois, formeront une armée de cent cinquante mille hommes. En cas de guerre avec la France, je laisse quarante mille soldats pour défendre la Suède; avec les autres, j’irai partout où mon destin, où mon honneur m’appelle! Si la France est d’abord victorieuse de la Russie, Alexandre me rendra la Finlande, et, de concert avec les troupes de la Russie, avec celles que la Finlande pourra fournir, mon armée deviendra peut-être d’un certain poids dans la balance... Toutefois, bien qu’en pareil cas ce dût être pour moi un honneur de devenir le rival de l’empereur (Pompée lui-même, Pompée vaincu n’a pas acquis une médiocre gloire), je préférerai toujours le bonheur d’être son ami. »


Que de pièges dans ces paroles! On revenait sur la cession de la Norvège, parce qu’on savait bien que Napoléon ne l’accorderait pas, et qu’ainsi on l’amusait par de vaines négociations. On se vantait d’obtenir cette réunion du propre consentement des Norvégiens….. Il aurait fallu dire qu’on l’attendait du consentement de la Russie et de l’Angleterre. Quant aux sentimens personnels qui terminaient cette note, cette fiction d’une neutralité dérisoire et cette perspective d’une gloire pareille à celle de Pompée en rendaient à bon droit l’expression suspecte. La comparaison attentive des dates suffit d’ailleurs pour faire apprécier ici la politique de Bernadotte. Tout le temps