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éminens autour de Charles XIII, qui se montraient jaloux de l’indépendance de leur pays, et se souciaient peu de devenir, disaient-ils, des préfets ou des officiers français. Leurs craintes étaient-elles excessives, étaient-elles conformes aux futurs intérêts de la Suède? Peu importe; ce qui est sûr, c’est que ces personnes-là formaient une imperceptible minorité qui, malgré la valeur morale de ses membres, ne représentait pas l’opinion publique. Le roi lui-même, le vieux et faible Charles XIII, ne se rappelait pas sans fierté qu’il avait combattu les Russes avec gloire à la tête des flottes de son frère Gustave III, et il ne s’accoutuma que bien difficilement plus tard à une alliance avec l’ennemi héréditaire de la Suède. M. d’Engeström, premier ministre, conserva toujours, tout en devenant l’instrument de la politique de 1812, sa vieille haine contre la Russie. Les chefs de l’armée humiliés de la perte de la Finlande, les hommes qui avaient fait la révolution de 1809 parce que Gustave IV s’obstinait à lutter contre Napoléon, les diplomates suédois qui avaient dû négocier et signer les derniers traités consacrant la ruine de la Suède, ne pouvaient concevoir que le maréchal de France, le prince parent de Napoléon, qu’ils avaient choisi pour les venger, tournât justement leurs armes contre la France qu’ils aimaient, contre Napoléon qu’ils admiraient. Bernadotte y joua sa couronne; le général Tibell, un des plus chauds partisans de la France, vint en octobre 1811 à Paris, résolu à combattre le système que Bernadotte voulait faire triompher et à le contraindre de rester dans l’alliance française. Fort de l’opinion publique, chaque jour plus prononcée à Stockholm, fort de l’appui d’un certain nombre de ses compatriotes présens à Paris et du représentant même de la Suède auprès du cabinet des Tuileries, il fut bien accueilli de M. de Bassano, qui aurait voulu seconder ses efforts, et obtint une audience de l’empereur. Malheureusement, nous l’avons dit, l’empereur dédaignait trop et Bernadotte et ce qu’il pouvait entreprendre. Il ne mit pas à profit les offres de dévouement qui lui étaient faites avec tant de persistance. Les instigations suédoises ne furent pas étrangères, il est vrai, à l’occupation de la Poméranie, mais ce fut tout ce qu’on tenta. Napoléon était convaincu que cela suffirait pour faire taire Bernadotte; il pensait d’ailleurs que la nation ne le suivrait pas : « Qu’ont à faire les Suédois, disait-il, avec un homme qui viole ses sermons? » Il eut tort; l’occupation de la Poméranie, en humiliant Bernadotte, ne fit que l’exciter dans son ressentiment; il n’hésita pas à engager la lutte, il l’accepta d’abord contre ses propres sujets, et il en sortit vainqueur.

Il s’agissait avant tout pour Bernadotte de convaincre les hommes influens soit sur la diète, soit sur l’armée. Le prince comptait beaucoup en de telles entreprises sur cette faconde méridionale dont nous