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accidens; c’est là plus qu’une besogne, c’est un art, presque une science, et l’éducateur, dans son humble sphère, doit en posséder les rudimens. Il faut qu’il ait sous la main sa provision de feuilles et qu’il la double en cas d’orage; il faut qu’il ait l’œil fixé sur le thermomètre, afin d’élever ou d’abaisser la température au degré voulu, qu’il sache quand le ver va entrer en mue, afin de lui supprimer la nourriture, et, quand il se dispose à en sortir, qu’il soit prêt à la lui rendre avec abondance; il faut qu’il saisisse le moment précis où la bruyère doit être dressée et qu’elle ne le soit ni trop tôt ni trop tard, sous peine de mécomptes dans le produit; il faut aussi qu’aux premiers symptômes des maladies si communes chez le magnan, il ait recours aux remèdes consacrés par l’expérience et guérisse le mal, s’il n’a pu le prévenir. Il faut qu’il aille plus loin encore, si l’état de ses élèves empire, et, s’il désespère de la cure, qu’il renonce à temps à une éducation qui doit avorter et serait pour lui une ruine gratuite et sans compensation : opérations délicates, variées, qui exigent autant d’adresse que de sang-froid et exercent les facultés de l’esprit au moins autant que les forces du corps !

Aussi les classes vouées à la production du cocon sont-elles en général robustes, intelligentes et morales. Ce travail a en lui-même quelque chose d’élevé et de sain qui doit agir sur les habitudes et former les caractères; il ouvre les idées et tient l’observation en éveil, il inspire l’ordre et la patience. Ajoutons que c’est un travail convenablement rétribué, et qui éloigne la misère des provinces où il fleurit. La matière est riche et peut payer les soins de ceux qui la produisent, elle est en outre un privilège pour quelques localités et échappe ainsi à une concurrence trop étendue. De là plus d’un avantage attaché à cette exploitation et un bien-être réel dont elle est la source et l’origine. Peu de populations rurales sont sous ce rapport plus favorisées que celle qui cultive le mûrier et élève le magnan. Le salaire du journalier de dernier ordre, celui qui soigne l’arbre, le plante, le greffe, le fossoie, le fume, le taille et en détache la feuille, ne descend jamais au-dessous de 1 fr. 50 c. et 1 fr. 40 c. pendant l’hiver; il s’élève à 1 fr. 75 c. et 2 fr. pendant l’été. A de certaines époques même, et quand il s’agit d’ouvrages pressés, la tâche remplace le salaire à la journée, et l’on voit alors le prix de la journée monter, suivant les cas et l’urgence, à 2 fr. 50 c., 3 fr. et jusqu’à 3 fr. 50 c. Ce n’est pas tout : à ces salaires qui sont ceux des hommes, il faut joindre ceux que les femmes et les enfans obtiennent dans les ateliers de dévidage, et qui ne sont pas inférieurs à 1 fr. 50 c. par jour, quand elles sont fileuses en titre, et à 1 fr. 25 c. pendant l’apprentissage, qui ne dure que deux ou trois ans. Tout compte fait et d’après des évaluations très exactes, on arrive à une