Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/615

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en seconda l’action par de puissans mécanismes. Dès lors, la métamorphose fut complète et s’étendit à tous les pays à soie, à ceux du moins qui méritent de compter dans cette branche de la production française. On vit s’élever ces vastes usines où la vapeur met en mouvement plusieurs centaines de bassines et autant de dévidoirs, et dans lesquelles on apporte presque tous les cocons de la contrée environnante. À peine reste-t-il debout, comme débris du passé, quelques ateliers domestiques, réduits à fabriquer les soies les plus communes, vivant d’une vie précaire et se débattant sous l’étreinte de leurs redoutables concurrens.

Dans le cours de cette révolution, deux circonstances sont à noter. La première, c’est qu’elle s’accomplit sans secousse et sans souffrance matérielle. À l’origine, ce fut un long cri d’alarme dans les pays à soie. Qu’allaient devenir ces agens humains que des agens naturels allaient remplacer ? qu’allaient devenir ces cultivateurs auxquels la production du cocon donnait du pain et assurait une certaine aisance ? Les faits ont répondu péremptoirement et de la manière la plus rassurante. L’emploi de la vapeur, au lieu de supprimer le travail de l’homme, l’a augmenté en le modifiant. On occupe aujourd’hui plus de bras dans ces vastes usines qu’on n’en occupait dans les mille petits ateliers d’autrefois. Seulement la besogne a changé de nature : les femmes et les jeunes filles, qui tournaient la roue, ont passé à la filature ; elles ont monté en grade, et la hausse du salaire a été la conséquence de cet avancement: au lieu de 1 franc, elles gagnent aujourd’hui 1 franc 50 centimes. De leur côté, les éleveurs avaient d’autres craintes. Ces grands établissemens ne leur feraient-ils pas la loi ? Comment lutter, eux si chétifs et si à court d’argent, contre des maisons armées de capitaux considérables, et qui abuseraient de leurs besoins ? Évidemment il en faudrait passer par les conditions que ces potentats de l’industrie allaient leur dicter. Fausses terreurs, appréhensions chimériques ! Il s’est trouvé qu’en fin de compte les véritables maîtres du marché ont été plutôt les éleveurs que les filateurs. Pour les uns, il y avait, il est vrai, nécessité de vendre, mais pour les autres il y avait nécessité d’acheter. Puis la t concurrence s’en est mêlée et a renversé les rôles, si bien qu’aujourd’hui il n’y a, au bout de cette crise tant redoutée, qu’un travail plus suivi et de plus beaux bénéfices.

La seconde circonstance se rattache à des questions d’ordre moral. Quelle influence cette transformation allait-elle exercer sur les populations des campagnes ? N’y avait-il point de fâcheuses perspectives au bout de cette modification du travail ? C’était encore une victime offerte à l’idole du jour, l’industrie ; la soie allait lui être livrée, et avec la soie les populations qui en vivent. Dès lors, plus de ces métiers