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de famille où la fille restait sous les yeux de la mère, la jeune femme sous les yeux du mari; plus de veillées laborieuses, égayées par des récits ou animées par des chants; plus de bons exemples, plus de sages avis, plus de surveillance, et parlant plus de garanties pour la conduite. Les grandes usines allaient absorber ce personnel, hommes et femmes, employer les corps sans souci des âmes, devenir le siège de tous les vices et de tous les déréglemens, — l’ivrognerie pour les uns, la débauche pour les autres, le scandale sous diverses formes, — et on allait voir se multiplier de telles occasions de chute, que peu y résisteraient. Adieu les principes, adieu la pudeur, adieu tout ce qui fait l’honneur et la parure de la vie! D’un tel pêle-mêle, il n’y avait rien à attendre de bon; c’étaient autant d’écoles de pervertissement. — Tels étaient les pronostics. Grâce au ciel, ils ont été démentis. Les choses ont fini par se régler dans ces vastes ateliers comme elles se réglaient dans l’atelier domestique. La fille y travaille près de la mère; les sexes y sont confondus le moins possible. A défaut d’un autre sentiment, les entrepreneurs ont écouté leur intérêt, en maintenant dans l’enceinte de l’usine des habitudes d’ordre, de décence et de régularité. Plusieurs d’entre eux ont même attaché des sœurs à leurs établissemens, pour y exercer une sorte de police et maintenir l’empire du sentiment religieux. Dans quelques usines, ce sont les dames de la maison qui se chargent de ce soin, et veillent sur les ateliers avec une touchante sollicitude. Partout, il y a eu émulation, bonne volonté, sacrifices d’argent au besoin pour que cette révolution restât inoffensive, et n’agit pas dans un sens funeste sur les habitudes et sur les mœurs.

En revanche, les avantages attachés à une exploitation sur une grande échelle sont devenus sensibles dès le début, et depuis lors n’ont fait que s’accroître. dans les ateliers de campagne, le progrès était lent et restreint; la routine régnait en souveraine; aux plus hardis les avances manquaient pour les essais. dans les grands ateliers, rien de pareil; c’est à qui l’emportera par des innovations heureuses, et les capitaux abondent, même quand il s’agit de livrer quelque chose au hasard. De là bien des découvertes qui ont marqué dans l’industrie des soies et corrigé les défectuosités de la matière. L’insecte en effet ne livre pas son produit dans les conditions qu’exige l’emploi industriel de la soie. Le fil, tel qu’il le pelotonne, est trop fin et a une longueur trop variable pour être mis en usage sans de grandes modifications. Il faut développer et rassembler les brins élémentaires, faire disparaître le vrillement et les ondulations, éviter dans le rattachage les boucles et les bouchons, qui diminueraient la netteté de la trame et en altéreraient le brillant. C’est tout un art, et un art des plus délicats; les machines et la main de l’homme en