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avant sous la terre, et à l’arrivée des vogues, elles sonnent comme d’immenses tuyaux d’orgue. « Si on était des enfans, disait le vieux pilote Ker-Simon, ça pourrait faire peur! » Enfin le grand phare de la pointe Saint-Matthieu alluma ses feux, et domina puissamment la nuit et la bruine. Nous arrivâmes sans penser seulement que, privés de ce secours, nous aurions pour la seconde fois passé la nuit en pleine mer.

L’administration des phares de France prête son appui éclairé à deux constructeurs français qui ont aussi exposé deux phares de premier ordre d’un travail admirable, l’un destiné pour la France, l’autre pour l’Amérique : ce sont MM. Lepaute et Sautter. Que de travail et de travail savant dans ces montagnes de verres taillés qui, par transmission et par réflexion, plient et dirigent convenablement les rayons de la quadruple lampe placée au centre de l’appareil! Si Fresnel avait pu visiter cette exposition, quel bonheur ç’aurait été pour lui de contempler ce fruit de ses œuvres développé pour le bien de l’humanité d’un bout du monde à l’autre! Son nom n’est prononcé qu’avec une sorte de vénération par tous les ingénieurs français et étrangers qui construisent ses appareils de tous les ordres, depuis le grand phare de deux ou trois mètres de dimension jusqu’au plus petit feu de port ou même au fanal installé à bord des bâtimens. Fresnel a succombé avant le temps, et il n’eût pas même été d’un âge avancé à notre exposition universelle d’aujourd’hui.

Une communauté d’études nous avait rapprochés, et son caractère moral était de pair avec son génie. Il semblait s’excuser d’avoir appliqué à la science pratique de l’optique et aux détails de la construction des phares les méditations d’un esprit fait pour les spéculations transcendantes de la science; mais il sentait vivement néanmoins le bonheur d’avoir été utile. Quand, dans les derniers mois de sa vie, il quitta Paris pour un de ces voyages de santé qu’en désespoir de cause les médecins ordonnent aux malades, il se dirigea sur Royan, à l’embouchure de la Gironde, en face de la tour de Cordouan. De là, le soir, il suivait avec complaisance les feux intermittens de son beau phare, et il entendait les témoignages d’admiration et de gratitude des marins, qui ne le connaissaient pas et qui l’entouraient les yeux fixés sur le phare, dont ils comptaient les éclats et les éclipses. Heureux celui par qui la gloire de la France n’a point subi d’infériorité, plus heureux encore celui par qui la vie des hommes a été sauvegardée! Par un bonheur non moins grand, Fresnel a eu le privilège de n’inspirer pas plus l’envie qu’il ne la ressentait lui-même dans son noble caractère.


BABINET, de l’Institut