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son sein l’étranger, dont le premier soin a toujours été d’abuser de son hospitalité. L’indiscipline de ses peuples a pu être la cause lointaine et première de sa décadence, mais ce n’est pas de leurs mains qu’elle a reçu le coup de la mort. Ces trésors qu’elle n’a plus, ce sont les armées de Gonzalve, de Bourbon, de Charles-Quint, qui les ont ravis; ce commerce de Venise, ce sont les confédérés de Cambrai qui l’ont détruit; cette domination étrangère, c’est la France qui l’a permise, autorisée, sanctionnée. Valois et Bourbons, Aragonais et Castillans, soldats de l’impériale Allemagne et de la France républicaine, ont tellement traversé, sillonné, remué en tous sens cette terre, bombardé, incendié et pillé ses villes, que c’est presque un miracle qu’il y ait encore une Italie. En vérité l’Europe doit toujours être modeste et réservée dans ses appréciations sur ce pays.

La France surtout, cette sœur de l’Italie, peut se frapper la poitrine et avouer ses fautes, car c’est peut-être après tout le seul peuple envers lequel elle ait été coupable. Elle qui a été si souvent trahie, qui a ressenti si amèrement les trahisons, d’autant plus amèrement que par sa nature le Français est le moins trahisseur des peuples, elle a autorisé mainte fois l’Italie à l’accuser de trahison. Il appartient à la France, moins qu’à toute autre nation, d’être injuste envers l’Italie. Tout lui fait un devoir de la traiter comme sa sœur aînée; communauté d’origine, de race, de langage, de tradition, de religion, et si tout cela ne suffit pas, ses intérêts matériels et politiques le lui commandent. Parmi tant de raisons qui sont connues de tout le monde et qui sont autant de lieux communs politiques, il en est une moins connue, moins observée que les autres. Cette raison, la voici.

Lorsque j’entends parler légèrement en France de l’Espagne ou de l’Italie, je ne puis me défendre d’un profond sentiment de tristesse; il me semble toujours voir un insensé qui travaille à se discréditer lui-même, ou un général qui travaille à couper à sa propre armée sa ligne de retraite. Que l’Espagne s’épuise dans des guerres civiles beaucoup trop prolongées, cela est possible; mais ce qui est incontestable, c’est que l’Espagne est pour la France d’une importance géographique extrême. Que l’Italie ne soit plus ce qu’elle était autrefois, fort bien; mais qu’il y ait en Europe un autre pays où la France puisse plus librement déployer son influence, cela est douteux. L’Italie est le théâtre naturel de l’action morale de la France, et c’est pour cela qu’elle est pour nous d’un prix inestimable. Si nous ne cherchons pas à agir sur l’Italie, sur quel peuple pouvons-nous espérer agir? Ce n’est point sur l’Allemagne, ni sur l’Angleterre, qui nous comprendront toujours aussi incomplètement que nous les comprenons, qui ont une civilisation sui generis, qui