dogmatiques et la susceptibilité d’opinions toujours en éveil chez les compatriotes de Bonnet. Le rôle si considérable accordé à la sensation et à l’organisation, ces fibres et ces paquets de fibres correspondant à autant d’idées simples et d’idées composées, tout, dans ce système, semblait tendre et aboutir au matérialisme. Autour de Bonnet, parmi ses amis même, on n’admirait pas sans un peu de consternation cet édifice si naïvement élevé à la sensation par un tel esprit, si éloigné des opinions qu’une pareille doctrine suppose. Vainement faisait-il survivre à la mort la subtile matière de l’âme : l’agréable et facile idée qu’il présentait de la résurrection ne balançait pas l’impression produite par ces malheureuses fibres qui revenaient continuellement dans son langage, où, en réalité, elles occupaient plus de place que dans son système. Évidemment ses amis éprouvaient plus d’inquiétude et d’embarras que de satisfaction, et Bonnet put se dire aussi que le goût de la métaphysique les abandonnait bien mal à propos pour lui. Les penseurs qui s’étaient sentis attirés vers lui semblaient s’être donné le mot pour écrire à l’auteur de l’Essai analytique, l’un « qu’il avait vu l’abus et l’inutilité de ces questions, qu’elles commençaient à ne plus lui plaire, » l’autre : « Comme, depuis trente ans et plus que je me suis attaché à la métaphysique, j’ai vu peu de fruit de ces conversations, j’ai renoncé entièrement à toute illusion de ce genre. »
Des témoignages d’admiration moins réservés lui vinrent du dehors. L’Essai prenait place, dans l’opinion des experts, au rang des meilleurs ouvrages philosophiques : quelques juges le mettaient hardiment au-dessus du livre de Condillac. Le président de Brosses, cet homme de tant d’esprit et si franc avec ses amis, lui écrivait : « Je n’ai pas laissé que de lire votre analyse de l’âme avec d’autant plus de satisfaction que j’ai eu autrefois aussi la passion de la métaphysique ; j’ai même écrit là-dessus dans ma jeunesse beaucoup de choses, aujourd’hui mises à l’écart, et qui ne valent pas votre traité. Il est exact, didactique, bien suivi et très profond, sans que la clarté m’ait paru manquer en ce sujet si abstrait, et où elle est si difficile à donner. Vos idées se rencontrent en divers points avec celles de l’abbé de Condillac, qui a fait aussi sur cette matière un ouvrage qui a de la réputation, mais auquel le vôtre me paraît préférable, comme moins hypothétique, plus simple, plus complet et mieux déduit, » Condillac lui-même reçut avec bonne grâce l’envoi de l’Essai analytique. « Je vous suivrai avec plaisir, monsieur, dans la nouvelle route que vous vous êtes frayée, et je serai charmé d’y faire des découvertes, fussent-elles contre les observations que je crois avoir faites, car j’aime mieux une vérité dans mon esprit que des erreurs dans mes livres. »
Dans les Considérations sur les corps organisés, qui suivirent de