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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/762

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la pâque, furent vraisemblablement les élémens essentiels de cette première institution, qui depuis se compliqua, en même temps que le rôle de son fondateur alla grandissant. M. Ewald[1] prouve de la façon la plus ingénieuse que la gloire de Moïse subit en Israël une longue éclipse, que son nom fut presque inconnu sous les juges et durant les premiers siècles des rois, et que le vieux fondateur ne sortit de son tombeau avec l’éclat extraordinaire qui entoure son front qu’un ou deux siècles avant la chute du royaume de Juda.

La vie arabe dans toute sa perfection, ici est en effet le spectacle que nous présente encore Israël durant toute l’époque des juges et avant son organisation en monarchie : des tribus sans autre lien que le souvenir de leur fraternité et l’hégémonie de l’une d’entre elles ; la religion la plus simple qui ait jamais existé ; une poésie vive, jeune, abrupte, dont l’écho est venu jusqu’à nous dans le sauvage et admirable cantique de Débora ; nulle institution, si ce n’est celle d’un chef temporaire (juge ou suffète) ; le pouvoir encore moins défini du prophète ou voyant, censé en rapport avec la Divinité ; enfin le sacerdoce envisagé comme l’apanage exclusif de la tribu de Lévi, à tel point que les individus qui se laissent aller à l’idolâtrie se croient obligés de prendre à leurs gages un lévite pour le service de leur idole. Rien ne désignait encore Israël comme un peuple prédestiné : il se peut que parmi les tribus voisines de la Palestine il y eût alors des peuplades aussi avancées, et le curieux épisode de Balaam nous prouve que le prophétisme, la religion et la poésie avaient chez ces tribus la même organisation qu’en Israël.

C’est vers le temps d’Héli et de Samuel (1100 ans environ avant l’ère chrétienne) que le sceau de l’élection divine se marque tout à fait sur Israël. Ce moment est celui où la nation israélite arrive à la réflexion et passe de l’état de tribu, pauvre et simple, ignorant l’idée de majesté, à l’état de royaume, avec un pouvoir constitué, aspirant à devenir héréditaire. Jusque-là, Israël avait vécu dans cette anarchie patriarcale, excluant tout gouvernement régulier et uniquement tempérée par la solidarité des membres de la famille, qui est l’état habituel des tribus arabes. Un tel ordre de choses devenait impossible à maintenir en présence des développemens que prenait la vie sociale en Orient ; le peuple demandait à grands cris « un roi comme en avaient les autres nations. » Tout nous indique en effet que cette révolution se fit à l’imitation de l’étranger, peut-être des Philistins ou des Phéniciens, et contrairement au désir du parti conservateur des traditions, qui la présentait comme une sorte d’infidélité envers Jéhovah. Le récit qui nous en est parvenu[2] est évidemment

  1. Tome II, page 41 et suiv.
  2. I Sam, ch. VIII.