Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/817

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

larmes aux yeux, et pour cacher son trouble, elle s’excitait à quereller sa nièce. — Comme vous pleurez ! n’avez-vous pas honte ? Vous l’aimez donc bien ! Et moi, grande sotte, qui suis restée des siècles sans me douter de rien ! Ah ! quelle douleur que la vôtre ! Je serais aux portes du tombeau que vous ne seriez pas si triste. Vingt fois vous m’avez vue à l’article de la mort, et vous ne m’avez pas tant pleurée.

La tante continuant à parler ainsi toute seule, on arriva dans le faubourg de Lamanosc, le long des remparts. Au bas du pont, Cascayot s’arrêta pour faire reprendre haleine à ses bêtes. Sabine ne cessait de pleurer. En entendant ses sanglots étouffés, la tante perdait la tête. — Ah ! ma pauvre fille, du courage, rassure-toi. Je suis sûre que nous aurons de bonnes nouvelles ; mes pressentimens ne me trompent jamais. Eh bien ! s’il le faut, de Valence j’écrirai moi-même à la Sendrique.

Elle aperçut Espérit sur la porte du château des Sauras. — Tiens, Sabine, dit-elle, voilà notre marquis. S’il y avait un malheur, crois-tu qu’il resterait ainsi, tranquille comme un bourgeois, sous son cyprès ? Cascayot, appelle donc Spiriton, qu’il vienne nous parler.

Le terrailler avait déjà reconnu la carriole ; il arriva en courant, se jeta au-devant des bêtes, les tira à lui et les entraîna au galop dans sa cour. — Mais arrête donc, arrête ! criait la tante.

— Ne craignez rien, dit Espérit, notre malade n’entendra pas le bruit des roues ; vous voyez bien que ma cour est remplie de paille. Cascayot, tu sais les êtres, cours leur chercher l’avoine.

La tante eut beau protester, il se mit à dételer. — Mais nous allons à Orange, criait-elle, et de là à Valence, pour toujours peut-être ! — Elle jurait qu’elle allait repartir, elle racontait ses projets de voyage. Espérit n’en voulait rien croire.

— Ah ! mademoiselle Blandine, disait-il en bouchonnant les mules, dont les flancs ruisselaient de sueur, c’est bien à vous d’être venues. Je m’étais dit : Spiriton, quand elles sauront que Marcel a été transporté à la tuilerie, pour sûr elles viendront des premières, nos bonnes dames ; j’en aurais mis ma main au feu ! Ah ! ça, c’est bien de vous, mademoiselle Blandine. Pour le bon cœur, il n’y a que les Cazalis. Comme il sera heureux de vous voir, notre Marcel ! Il a perdu beaucoup de sang, mais le mieux se soutient. Il nous a bien inquiétés, savez-vous ? Sa mère l’a veillé toute la nuit, pendant que nous étions à la barricade. Voilà deux heures qu’elle est partie, et moi j’ai mis un peu le nez à la rue pour prendre l’air.

Cascayot revint avec des boisseaux. — Maintenant entrons, dit Espérit en levant le doigt. Venez par ici, doucement, doucement !

La tante était fort embarrassée. — Eh bien ! merci de tes bonnes