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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/836

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bonheur est incertain, presque insaisissable, mêlé qu’il est de mille angoisses, à la merci de mille caprices. Margaret n’est que par accès ce que Basil la voudrait voir pour lui. À ces momens d’effusion et de tendresse succèdent d’inexplicables froideurs, de brusques retours ou de timidité, ou même de répulsion, qui portent le trouble dans l’âme de Basil. Sous peine d’éveiller les soupçons de son père et de s’aliéner l’affection de sa sœur, il a dû aller passer quelques jours avec eux au fond du vieux manoir de famille, où ils n’avaient pu d’abord le décider à les suivre. Au retour de cette excursion, il retrouve avec consternation Margaret pâlie et changée. Elle a souffert, dit-elle, en son absence : c’est ainsi du moins qu’elle colore la froideur de son accueil. Mannion, lui aussi, semble avoir lutté contre quelque atteinte du même genre : son visage est altéré, son regard évite le regard de Basil. Un nuage sombre semble planer sur ces trois personnages, et ce nuage recèle la foudre.

Un jour encore, et l’époux de Margaret, dégagé de ses promesses, emmènera, désormais bien à lui, cette conquête achetée à si haut prix. Le frais cottage où doit s’écouler la lune de miel attend les jeunes mariés. Le dur servage touche à sa fin ; le bonheur est là paré de tous ses prestiges, et l’avenir, riche de promesses, verse ses trésors sous les pas du jeune homme ébloui. C’est ce moment même que la destinée attend pour le frapper au cœur, et le jeter mourant sur les ruines de toutes ses espérances.

La trahison dont il est victime n’est pas le résultat d’une de ces combinaisons fortuites que le hasard amène, et dont il semble qu’on ne puisse demander raison qu’à lui seul. Elle a été préméditée de longue main, accomplie de sang-froid, et ne devait éclater que plus tard, alors que le déshonneur de Basil, bien complet et bien avéré, rejaillirait sur toute sa race. Margaret Sherwin n’est que l’agent indirect de cette trahison ; elle obéit à un mauvais génie qui l’obsède de conseils pervers, et qui abuse de l’ascendant que les circonstances lui ont donné sur elle. Mannion, en l’attirant à lui, en faisant d’elle sa maîtresse la veille du jour où elle doit appartenir à Basil, est poussé par un double besoin de vengeance. Epris, lui aussi, de la beauté de Margaret, il n’a pas fermé les yeux, comme Basil, aux imperfections morales de son élève. Il la sait par cœur, et cette science même, en lui fournissant les moyens de la diriger à son gré, lui a permis d’envisager sans trop de méfiance les chances d’un mariage moins périlleux pour lui que pour tout autre. Ce mariage, dernier espoir de sa jeunesse maintenant disparue, dernier calcul de son ambition cent fois trompée, il y avait lentement préparé Margaret, et tout était disposé pour qu’il s’accomplit en dépit de M. Sherwin, lorsque l’offre imprévue de Basil, éveillant chez Margaret une ambition que d’abord elle ne s’était pas cru permise, l’a si soudainement