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autres sociétés européennes de profondes différences. « En Russie, dit Joseph de Maistre[1], la religion est toute en dehors et ne s’enfonce point dans les cœurs. Il ne faut pas confondre la puissance de la religion sur l’homme avec l’attachement de l’homme à la religion, deux choses qui n’ont rien de commun. Tel qui volera toute sa vie sans concevoir seulement l’idée de la restitution, ou qui vivra dans l’union la plus coupable en faisant régulièrement ses dévotions, pourra fort bien défendre une image au péril de sa vie et mourir même plutôt que de manger de la viande un jour prohibé. J’appelle puissance de la religion celle qui change et exalte l’homme en le rendant susceptible d’un plus haut degré de vertu, de civilisation et de science. » Puis De Maistre cite ce mot de l’historien Gibbon, qui appelle les Russes les plus ignorans et les plus superstitieux sectaires de la communion grecque.

C’est vers la fin du Xe siècle seulement (en 988) que le christianisme fut introduit en Russie. Les chroniques russes nous apprennent que Vladimir Ier envoya des délégués visiter les diverses églises chrétiennes : à leur retour, ceux-ci conseillèrent le culte grec comme le plus brillant. Le prince se rangea de leur avis, et donna ordre à ses sujets de se rendre à la rivière pour y être baptisés sous peine de mort. Aucun n’y manqua. Le paganisme ne trouva pas de martyrs, les idoles furent brisées et jetées à l’eau. Du jour au lendemain, la population russe était devenue chrétienne. Ce Vladimir, qui avait procédé avec tant de sang-froid à la conversion de ses sujets, compte parmi les saints du calendrier russe. Avant de décréter le christianisme, il avait refusé d’adopter la religion de Mahomet, parce qu’elle proscrit l’ivrognerie, et « les Russes, avait-il dit, ne peuvent vivre sans cela. »

Jusqu’à la chute de l’empire byzantin, le clergé russe, recevant ses inspirations et même ses investitures du patriarche de Constantinople, jouissait vis-à-vis du pouvoir temporel d’une assez grande indépendance. Après la ruine de cet empire, le patriarche de Moscou conserva encore jusqu’à Pierre le Grand une autorité de droit ou de fait qui lui permit souvent de jouer un rôle important dans l’état. Vers le milieu du XVIIe siècle, sous le règne du tsar Alexis, père de Pierre le Grand, un homme d’un esprit éminent et d’un caractère ferme se trouva placé à la tête de l’église russe. Cet homme était Nicon, patriarche de Moscou. Luc réforme qui devait assurer le progrès intellectuel et moral du clergé fut entreprise sous son influence. Malheureusement Nicon échoua devant l’obstination ignorante des prêtres russes, l’hostilité des grands et la faiblesse du tsar, qui l’avait d’abord protégé. Il fut déposé, condamné par un concile

  1. Du Pape, tome II, livre III.