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Je ne veux pas établir tout à fait la même opposition entre les parties de l’exposition française de 1855 consacrées aux objets de luxe et celles qui contiennent les produits agricoles et les matières premières en général. Je sais que le luxe est dans le génie de la France, et que nos arts élégans, en imposant aux autres peuples notre goût et nos modes, ont fini par former un des plus beaux fleurons de notre couronne industrielle. Il faut du luxe dans un grand état, c’est le signe de sa prospérité et la décoration de son travail ; seulement il n’en faut pas trop. Le luxe est l’ennemi de la véritable richesse ; comme la guerre, il consomme et ne produit pas. De tout temps, nous avons tendu à l’excès en ce genre, et nous y tombons aujourd’hui plus que jamais. Quand Voltaire disait sous Louis XV :

Cette splendeur, cette pompe mondaine,
D’un règne heureux sont la marque certaine,


il flattait le roi et la cour ; mais il mentait : il savait très bien que le luxe de Versailles et de Paris n’était obtenu qu’aux dépens de la nation tout entière.

Traversons donc ce magnifique étalage de glaces, de tapis, de bronzes, de porcelaines, de dentelles, de diamans, de cristaux, où s’arrête bien assez sans nous la foule émerveillée, et recherchons, dans les coins les plus reculés, les plus obscurs, les plus abandonnés, de notre exposition universelle, ce qui rend possible cet amas de trésors. L’homme ne vit pas seulement de pain, je le sais ; mais il vit de pain avant tout. Nous savons tous combien était embarrassé de sa personne ce roi de la fable qui ne pouvait toucher à rien sans le transformer en or, et qui mourait de faim au milieu de ses richesses. Supposez qu’une petite plante bien grêle vienne à manquer, meubles et parures perdront beaucoup de leur intérêt. C’est ce que n’oublie pas la race anglo-saxonne, beaucoup mieux avisée que nous. Partout où elle va, son premier soin est de s’assurer de quoi vivre. Ses industries les plus estimées satisfont à ce besoin vulgaire, mais essentiel. De là la plus grande cause de sa supériorité. D’autres nations, puissantes autrefois, sont tombées en décadence pour l’avoir négligé : elle seule grandit sans cesse et couvre le monde de ses enfans parce qu’elle mange. Cereris sunt omnia munus.


I.

À tout seigneur, tout honneur ; commençons par les produits agricoles anglais. La place qui leur est accordée est petite et attire peu les regards. On y voit d’abord d’énormes fromages et de gigantesques jambons. Les Anglais n’entendent pas raillerie sur ces deux