Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/894

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’analogue dans l’histoire de l’Europe occidentale. L’ère nouvelle où entra la Russie à la suite de la conquête des Tartares se partage en deux périodes : — l’une de soumission, l’autre de réaction. Or, pendant la première, qui dura près de deux siècles, on peut dire que le sentiment de l’indépendance cessa entièrement de se révéler chez toutes les populations russes placées en dehors de Novgorod. Six ans après l’incendie de sa ville de Vladimir (1243), le grand-prince allait porter ses hommages à la Grande-Horde, aux pieds du petit-fils de Gengis-Khan. Batou-Khan avait fixé sa résidence au bord du Volga, sur un point intermédiaire entre Kasan et Astrakan. C’est là que lui et ses successeurs reçurent désormais le tribut prélevé sur leurs peuples de Russie, qu’ils accueillirent les protestations d’obéissance des grands-princes ; c’est là que furent jugés et mis à mort ceux qui ne se montraient pas assez soumis. Au besoin, les khans arrangeaient les différends des chefs russes, et réglaient l’ordre de la succession princière. Ils daignaient même quelquefois accorder à l’un d’entre eux leurs sœurs ou leurs filles en mariage, mêlant ainsi le sang de Rourik à celui de Gengis-Khan. Ce fut une véritable suzeraineté, mais la plus tyrannique et la plus insolente qu’un peuple eût jamais subie.

Rien d’étrange comme la facilité avec laquelle la nation russe, pendant la première période de la domination tartare, se plia au joug des hordes conquérantes. Peu à peu un singulier travail de fusion commença de s’accomplir, fusion du génie slave et du génie mongol, des instincts d’une société chrétienne en voie de formation et des sauvages aspirations d’une race barbare. De bons rapports s’établirent entre les khans, d’abord païens, ensuite mahométans, et le haut clergé orthodoxe, qui demeura exempt de toute taxe ou tribut, à la condition de prier régulièrement pour le khan et sa famille. Les alliances matrimoniales, rares dans le principe, devinrent assez fréquentes entre les deux races. Où devait s’arrêter ce rapprochement ? et ne pouvait-on pas craindre que, la fusion devenant complète, les grands princes ne tombassent quelque jour au rang de pachas tartares ? Tel semble être, pendant la première période qui suivit l’invasion mongole, l’avenir de la Russie.

Heureusement pour la civilisation chrétienne il n’en fut pas ainsi. Des divisions intestines marquèrent dans la domination tartare le début d’une seconde époque, dont le terme devait être l’affranchissement de la Russie. L’état du Kaptchak (ou des Tartares de la Grande-Horde) ne tarda pas à se morceler. Ainsi divisés, les Tartares osèrent affronter vers la fin du XIVe siècle le grand dévastateur Tamerlan. Ils allèrent le provoquer jusque dans la Perse, et eurent à se repentir de leur audace. Tamerlan battit les Tartares, envahit